Viva
l'aldjérie
de
Nadir Moknèche 1/2
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La situation des femmes à travers le monde est souvent
difficile, en proie aux humiliations infligées par
leurs pères, leurs maris ou leurs frères. C’est en
grande partie le cas de l’autre côté de la Méditerranée
où, alors que Bouteflika vient juste d’être réélu
avec plus de 80 % des voix, continue de se poser de manière
urgente et désespérée le problème de la culture, de
son accès et de sa libre circulation.
C’est sans doute la première raison, et pas la seule,
qui pousse à saluer la sortie du second film de ce réalisateur
algérien, dont on se souvient avec tendresse et bonheur
du premier opus Le harem de Mme Osmane en 2000.
Dans
Alger la Blanche, ville grouillante et déglinguée par
les attentats et la misère, cousine pas si éloignée
de Jérusalem ou Kaboul, trois femmes essaient de
survivre et de se débrouiller avec la vie : la mère
Papicha (merveilleuse et espiègle Biyouna)
ancienne danseuse et chanteuse nostalgique. A ses côtés,
sa fille Goucem (la brune et flamboyante Lubna Azabal)
en paraît presque lisse ou sage, coincée entre une
relation adultérine avec un médecin marié et un petit
boulot chez un photographe. Dans l’hôtel, pension de
famille dans lequel la mère et la fille se sont réfugiées,
la chambre du rez-de-chaussée est occupée par une
jeune prostituée Fifi (Nadia Kici), amie et
confidente de Goucem. C’est autour d’elle que le
film d’abord léger bascule dans le drame et
l’angoisse.
La principale qualité de Viva Laldjérie est de
nous brosser un portrait sans complaisances, mais
surtout sans clichés, d’une ville et de trois de ses
habitantes. Ce trio d’ où l’homme est cruellement
absent, ou simplement réduit à un rôle de séducteur
lâche, pose étrangement la question douloureuse de la
place de la femme dans ces sociétés musulmanes.
Pourtant, la soumission ancestrale n’est pas ici au
rendez-vous. Au contraire, malgré la situation bancale
de Goucem qui l’amène à se poser des questions sur
son avenir, chacune de ces femmes est déterminée, pas
prête à accepter n’importe quoi, bien décidée
aussi à prendre son destin en main, telle Papicha lancée
dans des démarches kafkaïennes pour relancer la boite
dans laquelle elle dansait il y a bien longtemps.
Entre
une Goucem aguicheuse et séductrice impitoyable en
boite de nuit et la même voilée dans les rues d’
Alger partant consulter une voyante rassurante, c’est
bien un sentiment de terrible paradoxe et de grand écart
audacieux qui nous habite. Ce sont ces mêmes
contradictions et ces exercices parfois dangereux d’équilibristes
de la vie qui rendent ces trois héroïnes attachantes
et authentiques. Des femmes qu’un réalisateur presque
voisin, contempteur talentueux de la gente féminine, un
certain Almodovar, n’aurait certes pas reniées.
Ce n’est donc pas un hasard si l’on évoque son nom
à la sortie de ce film vivant et profond, qui prend le
temps en deux petites heures d’installer ses trois
femmes dont le caractère volontaire et la rage de
survivre coûte que coûte nous les rendent proches et
sympathiques. Et savoir qu’elles peuvent aujourd’hui
exister dans ce pays à la fois merveilleux et exsangue
qu’est l’ Algérie justifie amplement que le nom du
pays soit précédé d’un vivat de respect et de
salut.
Patrick
France/Belgique
– 1h53 – sortie le 7 avril 2004
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