Vivre me tue
de Jean-Pierre Sinapi
En
2000, Nationale 7 nous contait les péripéties
de René, myopathe acariâtre de 50 ans décidé à
faire l’amour avant que son état n’empire et nous révélait
par la même occasion Jean Pierre Sinapi, réalisateur
au regard sensible et pudique.
Trois
ans plus tard, ce fils d’ouvriers lorrains, devenu ingénieur
électronicien puis scénariste pour la télévision
adapte à l’écran le livre homonyme et coup de poing
de Paul Smail.
Le film raconte l’histoire de Paul, jeune homme
d’origine marocaine, brillamment diplômé – DEA de
littérature sur son livre favori Moby Dick –
mais livreur de pizza et veilleur de nuit dans un hôtel
de passe et
de Daniel, son jeune frère moins doué, totalement
fasciné par le monde des body-builders pour lequel il
transforme et violente son corps et il renonce à sa vie
à Barbès préférant un exil allemand illusoire et
tragique. De son côté, Paul rencontre Myriam jeune étudiante
en lettres mais cet amour n’aboutira pas tant le mal
être de ce garçon, qui peine à trouver sa place, est
grand et l’empêche de s’engager durablement.
Il
faut ici rendre hommage aux trois comédiens formidables
qui composent le trio. Sami Bouajila (Paul) est
en train de devenir un acteur de tout premier ordre, au
jeu tout en nuances. Il émane de lui beaucoup de force
et de fragilités secrètes, enfouies. Déjà présent
dans une vingtaine de longs métrages, nous pourrons le
voir prochainement dans le prochain film de Arnaud
Desplechin. Jalil Lespert (Daniel) révélé
par Ressources humaines transcende son rôle pour
lequel il a suivi pendant neuf mois un entraînement de
musculation intensive. Cassé, prêt à tout pour tenter
d’épater son frère aîné, jusqu’au boutiste, on
le sent ici investi totalement. Enfin, Sylvie Testud
(Myriam) confirme film après film son talent et sa
capacité à changer de physionomie en deux secondes.
Un
beau trio d’acteurs donc qui rend ce film intense et
émouvant, construit sous forme de retours en arrière,
pas toujours très clairs, mais qui fournissent au fur
et à mesure des clefs au spectateur.
Même s’il s’inscrit dans la réalité sociale (
difficultés d’insertion pour les personnes
d’origine maghrébine), le véritable sujet de Vivre
me tue est la recherche âpre et douloureuse d’un
homme meurtri à trouver sa place dans la société.
Comme
par hasard, ce film a eu pour moi un double écho :
d’abord celui du livre de Yasmina Khadra dont
je vous parle ce mois-ci, ensuite celui du dernier film
de Patrice Chéreau vu dernièrement sur Arte (en
attendant sa sortie en Septembre) Son frère, qui
met en scène aussi une histoire fraternelle, plus
tragique et plus noire encore.
Adaptation réussie et personnelle d’un roman pas
facile, Vivre me tue, bonne surprise de ce mois
de Juin, est un film émouvant et intense, servi par un
jeu en tous points remarquables.
Patrick
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