Comment
vit-on avec ses morts ? Et plus précisément
comment s’arrange t-on avec la disparition de sa
propre mère ? Vastes questions qui
traversent aujourd’hui le dernier film de
l’ex-enfant terrible de la Movida ibérique, des
interrogations suscitées par le décès de la mère
du réalisateur en pleine promotion de son
avant-dernier opus Parle avec elle. Pour
cet homme travaillé depuis toujours par la problématique
du poids de la famille et de la mort, cet événement
tragique et intime devenait l’élément déclencheur
pour l’écriture du scénario d’un nouveau
film. Où il serait beaucoup question de revenir (Volver)
à plus d’un titre. Revenir d’abord sur les
lieux de son enfance : la Mancha, région
castillane, dénudée et aride, balayée par des
vents incessants et violents réputés rendre fous
les autochtones. Revenir ensuite à un univers
essentiellement féminin après l’incartade
masculine – alambiquée et somme toute décevante
– de La Mauvaise Education. Et revenir
enfin à ses interprètes de prédilection :
la magnifique Penélope Cruz en descendante
directe et mimétique de Sophia Loren ou Anna
Magnani ; et Carmen Maura, une des
premières muses de Almodovar dans sa période
baroque et madrilène des années 80.
Volver
signe donc les retrouvailles d’une mère Irene
et de ses deux filles Raimunda et Soledad, séparées
par des secrets lourds à partager et des événements
difficiles à surmonter. Des retrouvailles traitées
sur un mode fantastique puisque Irene est supposée
avoir péri avec son mari dans l’incendie d’un
cabanon attisé par les vents. Malgré les rumeurs
circulant sur la réapparition de Irene, il faut
attendre le premier tiers du film avant que
celle-ci ne se matérialise définitivement. Cette
longue introduction permet certes la mise en
situation des personnages, mais entretient également
un suspense dilatoire. Des deux sœurs orphelines,
c’est surtout Raimunda qui retient l’attention
du cinéaste. Femme déterminée, elle peine à
joindre les deux bouts de son budget modeste,
soudain écorné par le licenciement de son mari.
Dans Volver, les hommes ont vraiment le
mauvais rôle. Le mari de Raimunda va ainsi très
vite disparaître grâce à une pirouette de scénario
dont Almodovar a le secret. Débarrassé de
ses hommes fainéants et libidineux, Volver
laisse la part belle aux femmes, indépendantes et
battantes, faisant face aux difficultés de la
vie. En fait, les femmes de Almodovar, ce
sont des vrais mecs en quelque sorte. Ce qui
n’exclut en rien leur part de féminité,
exacerbée comme jamais. Néanmoins le
volontarisme et l’énergie déployée à s’en
sortir – Raimunda reprend la petite taverne
voisine où elle assure la cantine d’une équipe
cinéma en tournage et Soledad a installé à son
domicile un salon de coiffure clandestin – ne
peuvent en rien cacher les blessures et les plaies
lentes à cicatriser.
Les
nombreux rebondissements de Volver frisant
l’outrance superfétatoire construisent ainsi à
rebours la vie des protagonistes. Les pièces du
puzzle se reconstituent et justifient le retour
providentiel de la mère, dont il importe peu au
demeurant qu’il soit celui d’une survivante ou
d’un fantôme. Sa mission dans les deux hypothèses
restera la même : demander pardon à sa
fille, laquelle finira par confesser son besoin
d’elle. Dans la décortication des souffrances
humaines et des sentiments filiaux, liens indéfectibles
et coercitifs, Almodovar n’est pas Bergman.
Entendez par là que l’épure, sinon l’austérité,
nordique n’est pas le registre du méditerranéen,
qui exploite avec un humour noir et décalé les
quiproquos engendrés par la résurrection de
Irene. Le rythme sans relâche de Volver ne
profite cependant pas à sa mise en scène banale
et peu inventive et empêche l’épaississement
de la psychologie des personnages. Dès lors,
Volver convainc surtout par le sujet traité qui
devrait trouver un écho logique, plus ou moins
direct, dans le cœur de chaque spectateur. En dépit
d’une direction d’actrices irréprochable, des
moments de pure émotion – la scène où
Raimunda chante au restaurant est en effet
bouleversante -, Volver déçoit un petit
peu nos attentes et rate ainsi son accès au rang
de chef-d’œuvre, déception peut-être provoquée
par l’impression de redite après Tout sur ma
mère et Parle avec elle.
Après
Volver, film de l’apaisement et de la
maturité, aux résonances italiennes
surprenantes, on attend que Pedro Almodovar
renouvelle maintenant son cinéma.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique espagnole – 2 h 01 – Sortie le 19
Mai 2006
Avec
Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola Duenas
Plus+
www.volver-lefilm.com
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