Biopic ou pas, là n’est pas la question. Personne, pas même
le plus génial artificier de la caméra d’Hollywood
ou d’ailleurs (ce que n’est évidemment pas James
Mangold) ne pourra jamais contenter le cahier
des charges forcément élevé de ce que l’on
est en droit d’attendre d’un film pressé d’épouser
la vérité d’une vie vécue. La profondeur
d’un être humain, quel qu’il soit, n’est
forcément pas réductible à un bloc d’images
animées dressés à la suite pour faire sens et
former le grand récit d’une vie. Comment rendre
compte sinon des contradictions constantes et
injustifiables dont chaque existence peu ou prou
se fait l’écho ? Comment éviter surtout,
dans ces cadres rigides, la représentation de
toute création artistique autrement qu’aliénée
au petit jeu des correspondances biographiques,
facilité foutraque si méprisante pour le mystère
véritable de tout art ? Au fond, James
Mangold ressemble à l’un de ces producteurs
de disques débattant en présence de Johnny
Cash lui-même – mais sans jamais le
consulter –
de l’opportunité de tel ou tel disque. Cash
en objet d’utilité privative, et qu’importe
de coller aux basques de ses désirs intérieurs.
Va donc pour une fiction pure et simple. Walk The Line
serait ainsi l’histoire d’un type appelé Johnny
Cash, une pastorale américaine intégrale
avec traumatisme originel, élévation à la force
de la voix, chute libre et rédemption par
l’amour. Un long film classique sans autre
ambition que raconter une histoire en forme de
trajectoire. Sans projet révolutionnaire ni même
subversif, simplement linéaire, tenant si fort
sur le seul fil de son scénario mécanique qu’à
force de fuir comme la peste toute dérive incontrôlée,
il devient vite exaspérant. Pas de place ici pour
la plus petite respiration hors cadre, qui aurait
pourtant permis de concrétiser – pourquoi pas
– l’hypothèse un tant soit peu tangible de
voir s’élever du corps sobre
(visiblement disposé à rendre service) de Joaquin
Phoenix, l’esprit de Johnny Cash.
Suppression des zones de flottement potentiel, découpage
de chaque scène comme aboutissement de la précédente
et moteur de la suivante, Walk The Line a
des allures de grand puzzle historique parfait,
dont la reconstitution, sans être ennuyeuse, ne réserve
aucune surprise.
Au-delà de ces réserves préalables, se dégage pourtant
une modestie d’ensemble, à l’écart de
l’esbroufe "clippeuse" et de la
virtuosité en toc devenue au cinéma la norme la
plus efficiente pour masquer les discours vides.
S’il faut reconnaître une qualité au film de James
Mangold, c’est bien cette volonté constante
de rester en retrait de son sujet – Johnny
Cash, vérité ou fiction – et de
rechercher, avec une discrétion rare, le seul
seuil d’efficacité maximale. Un travail de bon faiseur
de film, qui réserve la part belle aux comédiens,
ses deux héros qu’incarnent Joaquin Phoenix
et Reese Whiterspoon. Sa sobriété massive
à lui contre la légèreté gouailleuse de la
sudiste : leurs numéros sur scène ponctuent
Walk The Line de beaux moments live,
instants de concrétisation dans leur exercice
d’excellence d’existences par ailleurs dispersées,
performances scéniques qui les maintiennent
d’abord en vie – ce point, sans doute, où la
fiction rejoint parfois la réalité vraie du
chanteur Johnny Cash.
Christophe Malléjac
Film américain (2005) – 2 H 16 – Sortie le 15 février
2006
Avec
Joaquin Phoenix, Reese Whiterspoon, Jennifer
Goodwin
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