Phoenix
- Alphabetical
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Source/EMI - 2004
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Il est de plus en plus rare d’être interpellé,
bousculé, ému au plus haut point à la découverte
d’un nouveau groupe : grâce au net, l’homo
mélomanus n’a probablement jamais écouté autant
de musique qu’à l’heure actuelle. Alors très
logiquement, on se lasse facilement car une sensation en
succède à une autre, les cds s’accumulent sur les étagères
où dans les disques durs, on devient un peu blasé…
Il existe bien évidemment et fort heureusement encore
des exceptions.
J’ai découvert Phoenix il y a 4 ans, au détour
d’une compilation consacrée aux sorties françaises
par les Inrockuptibles. Au milieu des nouveautés
electro, pop indé ou chanson, il y avait ce titre
lumineux, irréel et miraculeux. Une pâte sonore souple
et moelleuse, inédite pour un groupe pourtant bien de
chez nous, réminiscente d’une pop US mid-seventies
laissée en déshérence jusque là, à la mélancolie
irrésistible, évoquant une ballade en voiture sous un
coucher de soleil californien. Ce titre c’était
l’insurpassable Honeymoon et il figure parmi
mes très rares chocs musicaux de ces dernières années.
United,
premier album jouissif des Versaillais, enfonça le clou
et devint rapidement ce véritable juke-box survitaminé
attendu par la génération Daft Punk, capable
aussi bien de se déhancher sur du Michael Jackson,
de headbanger sur du Van Halen que de lézarder sur du Todd Rundgren (une de leurs
probables grosses influences). Enfin un groupe français
totalement décomplexé et affranchi d’un style en
particulier, mêlant le classicisme du songwriting pop
(voire folk), l’euphorie de la house et du funk,
l’esprit rock un peu con du heavy-metal.
Accessoirement (quoique, ça a certainement son
importance dans le succès international du groupe),
enfin un chanteur français capable d’écrire et de
prononcer des paroles en anglais sans devenir
embarrassant pour l’auditeur.
Alphabetical
donc, le deuxième album qui s’est un poil fait
attendre. Difficile de ne pas d’abord s’attarder sur
cette pochette à la sobriété contrastant absolument
avec le bon-mauvais goût qu’arborait fièrement celle
de United. Aurait-on à faire à un groupe plus mûr,
moins flashy ? C’est incontestablement la première
impression que laisse le disque : le ton est un peu
plus grave, teinté de cette mélancolie classieuse et
un peu sucrée qui caractérise les meilleurs disques de
pop californienne (ces gars là ont décidément pigé
un paquet de trucs).
Phoenix a donc encore plus mis l’accent
sur les chœurs éthérés à la 10CC, sur les arpèges
de guitare acoustique surtout, omniprésents, y compris
sur les morceaux catchy. Les paroles de Thomas Mars
se font souvent le relais de sentiments en demi-teinte,
de relations amoureuses délicates (touchant Love for
Granted). L’esprit d’Honeymoon est plus
que jamais présent, notamment sur le sublime titre
final (Alphabetical) que l’on verrait bien
illustrer une séquence tournée par Sofia Coppola.
Mais derrière, le quatuor déroule ces tubes en or
massif dont lui seul semble avoir le secret, à la fois
absolument irrésistibles et d’une exigence artistique
absolue (superbe travail sur les rythmiques notamment) :
c’est le syncopé Everything Is Everything et
ses hooks clinquants et flambeurs, le curieux Run Run
Run, croisement du folk et du hip hop sous l’égide
d’une production très contemporaine (entièrement due
au groupe soit dit en passant). C’est surtout deux
bombinettes funky absolument démentes qui devraient
logiquement faire un malheur dans toutes les parties
autour de la planète : You Can’t Blame It on
Anybody et Holdin’ on Together, dignes
successeurs de Too Young ou If I Ever Feel
Better. C’est là que Phoenix est véritablement
bluffant, lorsqu’il transcende sa science du
couplet-refrain huilé et chiadé grâce à un son
dansant aboutissant à une euphorie communicative.
Alors bien sûr, les esprits chagrins feront remarquer
qu’une fois de plus, notre bonheur est de courte durée
(10 chansons dont un instrumental pour un peu plus
d’une demi-heure de musique). Qu’importe le
pinaillage, Alphabetical finit de confirmer que Phoenix
est ce groupe pop qui manquait à la France, et que le
monde nous envie.
Laurent
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