Grâce
soit ici rendue à
l’inestimable Bertrand Burgalat et
aux esthètes infaillibles de Tricatel, sans qui
cette splendeur n’aurait été disponible
qu’en import. C’était le cas du précédent Buzzle
Bee (indisponible en Europe), disque pourtant
magnifique, rêverie bucolique annonciatrice de Beet,
Maize and Corn. Il eut été dommage que le
public soit privé d’un disque absolument hors
du temps : c’est le cas de la plupart des
disques des High Llamas, mais Sean O’Hagan
pousse ici le bouchon encore plus loin.
Ils
sont nombreux, les pauvres, à ne voir dans les High
Llamas qu’un groupe de plagiaires des Beach
Boys circa Pet Sounds ou Smile.
Sans doute les mêmes qui pensent que De Palma
réalise toujours les mêmes films, ou pour
utiliser la pertinente comparaison établie récemment
par Jonathan Coe, qui estiment que Monet
peignait toujours le même tableau. D’une part Sean
O’Hagan n’a jamais caché l’admiration
sans bornes qu’il avait pour Brian Wilson.
Il s’en est d’ailleurs fallu de peu il y a
quelques années pour que les 2 accouchent d’une
collaboration. D’autre part, il faut bien
comprendre que son groupe est volontairement référentiel,
au travail des autres (Wilson donc, Morricone,
Van Dyke Parks, Jobim), mais surtout
à sa propre musique : l’Irlandais a fait
de l’ auto-citation un véritable credo, y
voyant là un moyen de plus d’accéder à cette
sophistication distanciée qui est une des
principales caractéristiques de sa musique. Il
sera ainsi aisé de retrouver dans les
arrangements de cuivre surtout, l’esprit de
l’album Hawaii (chef d’œuvre du groupe
en 1994). Son travail est celui d’un orfèvre de
l’inutile, d’un pointilliste, et la moindre
variation dans son approche prend ainsi d’autant
plus de valeur.
On
est donc ici en terrain connu et les influences
sont identiques à celles que l’on retrouvait
sur leurs albums précédents. Loin, très loin du
rock et de son orthodoxie, la musique des High
Llamas brasse toujours pop symphonique,
exotica, bossa, jazz orchestral, le tout par
petites touches subtiles, dans un même souffle
apaisant et d’une suavité extrême. Mais le précédent
Buzzle Bee et sa tonalité largement
acoustique annonçait un changement.
Fini
donc les touches d’electronica qui permettaient
au groupe d’être remixés par
l’intelligentsia des bidouilleurs mondiaux (Kruder
et Dorfmeister, To Rococo Rot, John
McEntire…). Fini même la batterie ou l’
électricité : Beet, Maize an Corn
largue définitivement les amarres, avec à son
bord et comme unique équipage, chœurs, cordes et
cuivres, pour des contrées lointaines et perdues
de vue depuis longtemps, celles du music-hall américain
des années 20. On songe à Cole Porter (Leaf
and Lime),
voire à Gershwin… Plus que
jamais, la musique d’ O’Hagan évoque
avec une mélancolie doucereuse les souvenirs
perdus et à venir, les clichés un peu jaunis
d’une Amérique romantique et surannée, peuplée
de cow-boys dandys, de pionniers métaphysiques.
L’obsession west-coast semble pourtant s’être
un peu estompée et l’album est pourvu d’une
sensibilité plus européenne. D’un raffinement
extrême, d’une préciosité sans égal, ces
chansons insaisissables
semblent tout droit issues d’une luxueuse party
donnée par un Gatsby plus distant que jamais sous
le soleil automnal de la Nouvelle-Angleterre.
Absolument stupéfiant et enchanteur, d’une élégance
véritablement unique.
Laurent
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