Hayden
- Elk lake serenade
Bad
Man recordings - 2004
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Soyons
honnêtes: malgré tout le respect qu’on pouvait avoir
pour son immense talent de songwriter, ça n'était pas
toujours un cadeau de s'envoyer les disques du canadien Hayden.
Il fallait avoir le cœur et le moral bien accrochés
pour écouter son folk minimaliste, austère et morose,
partenaire dans le malheur des premiers morceaux de Will
Oldham ou Bill Callahan. Et son cinquième
album commence plutôt dans la même veine avec une
ballade piano-cordes un peu éteinte mais comme toujours
d’une grande intensité (Wide Eyes).
Mais son précédent (et excellent) effort, Skyscraper
National Park a quelque peu changé la donne, grâce
à des titres doucement, mais sûrement enjoués, et une
palette instrumentale plus fournie et colorée.
La
suite d’Elk Lake Serenade suit cette même
tendance et Hayden confirme aujourd’hui qu’il
a découvert la joliesse, une forme d’optimisme en
somme. Hollywood Ending s’enhardit ainsi de
« la la la » inattendus chez lui, puis
d’une trompette presque mariachi carrément inespérée.
De même pour les hand claps sur Robbed Blind :
quoique discrets, ils soutiennent à merveille des arpèges
de guitare à la délicatesse assumée. Comme s’il
avait enfin décidé d’aérer un peu son univers de
songwriter taciturne et claustrophobe, suffisamment en
tout cas pour qu’on puisse parler d’embellie mélodique.
Le très gracieux Home By Saturday aurait ainsi
pu figurer sur Harvest, avec son air de partir Out
on the Weekend (il faudra d’ailleurs songer un
jour à se pencher sur l’influence de Neil Young
sur TOUS les jeunes songwriters nord-américains). Même
chose sur Woody où un harmonica vient doubler
une guitare acoustique, ou encore sur Don’t Get
Down qu’on pourrait presque qualifier de bonhomme.
Sans pour autant rompre avec un style désormais bien établi,
ces titres jouent moins sur une certaine sensation
d’oppression, et plus sur la sensibilité de leur
auteur (et de l’auditeur) : pas étonnant dés
lors que le grand Nick Drake semble
occasionnellement rôder dans les parages de son
inspiration.
Ce qui ne change absolument pas en revanche, ce sont les
paroles régulièrement décalées et inquiétantes,
dignes d’un véritable noveliste de tradition nord-américaine.
Sur son précédent album, il narrait avec cet humour à
froid dont il est coutumier comment, grâce à sa
guitare basse, il tentait de mettre en déroute des
cambrioleurs ayant pénétré dans son appartement. Ici,
sur le très Smog Looking Back at Me, il
adopte le point de vue d’un automobiliste observant
sur le bord de l’autoroute la voiture accidentée
d’une famille qu’il a suivie pendant de nombreux
kilomètres. Sur Killbear, son ex-petite
amie partie en camping subit les foudres d’un grizzli
sous le regard de son pleutre de nouvel amant. Charmant
n’est-il pas ? Effet garanti en tout cas, et
encore amplifié sur cet album-ci puisque le contraste
se fait plus net entre les mots, souvent tordus, et la
musique, toujours plus aimable.
Elk Lake Serenade
se révèle en tout cas au final comme le meilleur album
de son auteur. Chose non négligeable, il laisse
entrevoir que malgré la pratique d’un style très défini
et balisé, Hayden ne manque pas de ressources
pour l’avenir.
Laurent
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