musique

Grand Corps Malade - Midi 20

AZ/Universal

[4.0]

 

 

Du plateau de "Tout le monde en parle" au répondeur d’Agnès Jaoui, de l’Ifop où il occupe, à l’heure où nous écrivons, la présente la troisième place des ventes d’albums en France derrière non moins que les locomotives des Enfoirés et le triste Florent Pagny, à la Belgique où il sert d’illustration aux collectifs du cru, de Philippe Bouvard qui le citait il y a peu dans un éditorial, aux sociologues qui usent des textes de l’album pour évoquer ce qu’on nomme aujourd’hui du pudibond "délicat problème des banlieues" ; des tourneurs qui n’en reviennent pas de voir ses dates à La Cigale aussi vite déclarées sold out au public qui ne se pose pas la question de savoir s’il ne se sentira pas un peu seul en scène avec sa seule voix de stentor et ses yeux bleus marins… tout le monde n’a que son nom à la bouche : Grand Corps Malade.

 

Qui est donc ce grand escogriffe, qui vient de Saint Denis, mais qui ne fait pas du rap, ce basketteur à la déjà légendaire béquille, handicapé (le terme fait mal à la lecture, mais c’est bien lui qui l’utilise dans un de ses textes), rescapé d’une mauvaise chute d’ado ; qui a décidé de transformer la fatalité morose en souffle de vie et de mot ? Fabien Marsaud, 28 ans, chercheur de phase, poseur de slam.

 

L’air de rien, avec le joli coup de consensus qu’est en train de réaliser midi 20, c’est un mode de communication artistique inédit sur album qu’est en train de populariser, de Saint Denis à Uccle Calvoet, le Français avec ses paroles du bout du monde. Le slam. Cette manière de poser des vers modernes là où en général d’autres viennent pour les boire. Une poésie urbaine sans concession dans les thèmes, et irrévérencieuse avec la métrique qu’elle étreint puis congédie sans autre forme de procès. Une prose rimée qui, ici brasse le romantisme d’un Lamartine sans la grandiloquence kitsch, la synesthésie chère à Rimbaud, sans y prendre garde, l’actualité sociale de Libé sans les phrases qu’on ne comprend pas, et les revendications identitaires des allumeurs de guérillas urbaine, sans l’éruption de violence physique. Grand corps malade restera à jamais dans l’histoire de la musique en France comme le premier slameur a avoir replacé la poésie tout en haut des charts, en l’aimant autant qu’en la modernisant. En soi, c’est déjà un petit moment d’histoire.

 

Si la date est historique, elle ne nécessite pas pour autant l’achat du cd… Oui mais, il y a dans la voix du bonhomme servie sur un discret lit de musique qui hésite entre illustration et soutien , jazz voire classique, un petit quelque chose d’addictif. Une addiction qui est rapidement confirmée, quand le slameur pose ses écrits, qu’ils soient très personnels comme midi 20, 6e sens ou je dors sur mes deux oreilles dans lesquels il évoque son passé, son avenir, sa condition ses envies ou universels comme chercheurs de phase, les voyages en train, toucher l’instant. Il y a enfin, et c’est à nos yeux de vieux littéraire une vraie bonne raison de se procurer l’album, une remarquable capacité d’écriture, qui met à l’amende bien des chanteurs de la nouvelle chanson française et autant de scribouillards de premiers roman. Un mot juste et bien placé, une phrase simple, chargée de sens ou de sonorité, et la capacité d’aller droit au but sans s’abstraire du charme ni de la beauté des phrases.

 

Tout le charme de la poésie à l’ancienne, transposée au 21e siècle, tout le plaisir de la lecture des Romantiques mué en écoute de CD.

On réécoute encore et encore, on boit jusqu’à la lie parce que comme le disait Baudelaire dans ses petits poèmes en prose : "Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous !".

 

Denis Verloes

 

Tracklist :

01. Le jour se lève

02. Saint-Denis

03. Je dors sur mes deux oreilles

04. Midi 20

05. Ca peut chémar

06. 6ème sens

07. Je connaissais pas Paris le matin

08. Chercheurs de phases

09. Parole du bout du monde

10. Attentat verbal

11. Les voyages en train

12. J’ai oublié

13. Vu de ma fenêtre

14. Rencontres

15. Ma tête, mon cœur…

16. Toucher l’instant

Durée54’ 33’’

Date de sortie : avril 2006

 

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www.grandcorpsmalade.com