Entretien
avec
Gruff
Rhys
|
|
|
|
Il est 23h50 ce mercredi soir. 23h50 en France et à la
Gare du Nord, arrivée de l’Eurostar en provenance de
London-Waterloo. Les taxis sont là, prêts à ouvrir
leurs portes, le froid de janvier est vivace. Et Gruff
Rhys (prononcer « Griff ») vient de
descendre du train.
Un
bonnet sur la tête, un duvet sur le bas des joues, notre
homme est chargé comme une mule. Pas moins de deux
guitares et d’un sac remplis « de gadgets et de
samplers en tout genre ». Et surtout un
sourire et une gentillesse en bandoulière.
Tout cela est bien beau mais qui est Gruff Rhys ?
Qui est cet homme mal-rasé à l’accent gallois à vous
décrocher une mâchoire ?
Ni
plus ni moins le leader des Super Furry Animals, un
des groupes anglais qui réveilla la perfide Albion au
milieu des années 90 grâce à quelques albums rock déjà
rentré dans l’inconscient collectif. Un groupe dont le
retour (programmé pour le début de l’été 2005) est
plus qu’attendu par des fans impatients depuis 2003 et
un ‘Phantom Power’ réjouissant.
Yr
Atal Genhedlae
Malgré cette toute chaude
actualité, Gruff Rhys sort un premier disque solo,
l’imprononçable (si l’on est pas Gallois) Yr
Atal Genhedlaet.
Un premier disque assez minimaliste au final, mélange
plutôt réussi de pop, rock et d’électro. Le tout dans
la langue gaélique.
« La
première langue que j’ai appris a été le gallois.
L’anglais n’est venu que plus tard, à force de
regarder la télévision »
explique t-il, souriant. Avant d’ajouter que faire un
tel disque dans sa langue maternelle n’a pas été un
choix calculé. Cela c’est juste fait, « comme
cela ».
« En
fait, je n’ai jamais eu vraiment l’intention
d’enregistrer ce disque. C’est juste que j’avais
composé des petites chansons en gallois. En allant rendre
visite à un ami, on a trouvé que ça sonnait plutôt pas
mal. Donc je l’ai sorti »,
raconte t-il.
Et
le résultat en est surprenant. Déroutant même.
Impossible de comprendre un traître mot (voir d’en
prononcer). Et pourtant on se laisse emporter au gré des
« mots » de Gruff
Rhys.
Tant
qu’à partir dans un vrai délire, pourquoi ne pas
rajouter à ce disque fascinant et qui questionne, une
pochette elle aussi énigmatique. Un assemblage de forme
marron, orange et jaune, avec dans un coin, le titre du
disque et le nom de l’artiste. « Certains qui
écouteront ce disque auront du mal à trouver d’un coup
d’œil le nom de l’artiste ou le titre du disque. Et
en se plongeant dans les chansons, il se pourrait qu’ils
ne comprennent pas non plus les chansons ». Et
cela l’amuse.
Le
fameux tank-soundsystem
D’ailleurs, on a l’impression que c’est un des
leitmotive de ce Yr Atal Genhedlaet. Sans en
comprendre un mot, on ressent le vrai plaisir que semble
avoir pris Gruff
Rhys
à enregistrer cet album. Un disque plutôt drôle donc ?
« Oui,
c’est un peu ça. Un album fait de petites histoires
rigolotes. Comme « Pwdin Wy 1 » (ou Egg
Pudding en anglais, ndlr), l’histoire de cet
homme qui tombe amoureux d’une femme qui s’appelle Egg
Pudding » explique t-il.
Du
Super Furry Animals pur jus en quelques
sortes. Car qui ne se rappelle pas, exemple parmi tant
d’autres, de leurs arrivées dans les festivals, à bord
d’un tank crachant de la musique ? « Ah,
ce fameux tank (rires). C’est vrai que c’était
marrant, mais dieu que c’était exigu à l’intérieur !
On avait tout le soundsystem à l’intérieur et c’était
extrêmement difficile de se déplacer ! (rires) Et
puis un jour, on a décidé de le vendre. A Don Henley, le
batteur des Eagles ».
Mais
revenons à notre sujet : le nouvel opus de Gruff
Rhys. Un album teinté d’humour c’est certain. Et
de politique aussi.
Il
évoque ainsi Cardiff, une de ses villes de cœur, la
capitale du pays de Galles.
Et il y a à dire. Et en mal. C’est un Gruff Rhys
dépité qui en parle rapidement. « Le problème
avec Cardiff, c’est que cette ville est en train voire
s’est transformée en un gigantesque centre commercial.
Et ça me rend particulièrement triste car j’aimais
vraiment y passer du temps quand j’étais jeune. Mais là… ».
Politique
Tiens, pendant que l’on parle politique et assez sérieusement, quel est son avis sur la crise de la musique et toute la lutte contre le piratage qui en découle ?
« En
fait, quand on réfléchit bien, le concept d’industrie
quand on parle de musique est très nouveau. Payer pour écouter
de la musique est quand même une idée très récente.
Pendant des siècles, on n’a pas eu recours à
l’argent. Et depuis quelques décennies, seulement, si ».
Et d’ajouter : « Le « piratage »
finalement n’affecte en rien la musique. C’est
l’industrie qui va mal. La musique, elle, ne s’est
jamais mieux portée. Il y a même des jours où je me dis
qu’au final, ça serait bien que l’industrie perde ce
combat là ». Vous avez dit censé ?
A
l’heure de la séparation, on ne peut s’empêcher de
lui poser quelques questions sur le futur album des SFA,
attendu de ce côté de la manche par bon nombre
d’aficionados (dont certains écrivent pour Benzine).
Alors,
ce nouveau disque ?
« Définitivement,
l’album le moins rock que l’on ait composé. Un album
vraiment psychédélique, assez orchestral aussi »,
explique t-il. Un disque qu’ils ont d’ailleurs pris
beaucoup de plaisir à composer, à enregistrer et à
mixer (« au Brésil »). Bref, de quoi
se lécher les babines, et plutôt deux fois qu’une
lorsque l’on apprend, à la débauché, que les High
Llamas
sont également de l’affaire.
Les
jeux sont donc faits. Les fans que nous sommes ne
devraient pas être déçu du prochain opus des SFA. Et
encore moins de ce premier album de son leader. Sûrement
pas le disque de l’année. Non. Juste une galette pour
patienter jusqu’à juin. Passer l’hiver au chaud. Et
se mettre au gallois.
Olivier
Combes
Gruff
Rhys - Yr Atal Genhedlaet (Rough Trade/PIAS)
Sortie
le 24 janvier 2005.
|