Quand votre rédacteur en chef vous
demande de chroniquer une galette, vous avez
rarement le choix : il faut vous exécuter. Quand
le Cd qui débarque sur votre lecteur déboule de
Thessalonique en Grèce, vous vous rendez compte
que vous êtes un sale con. Vous partez avec
suffisamment d’à priori pour être taxé de
raciste ordinaire par n’importe quelle
association de défense des droits l’homme. Vous
êtes un sale con et S.ink se plaît à
vous le démontrer de la meilleure façon qui soit :
par le biais de la musique.
Time and timing est l’enregistrement, en prise
directe, du résultat d’heures et d’heures de
jam forcenées dans le studio du groupe grec.
Impressionnant de justesse il est vraiment
difficile de croire que cette production qu’on
imagine léchée, coupée, saucissonnée, finie…
est, en l’espèce, à attribuer à la qualité
des musiciens rassemblés au moment de
l’enregistrement.
La musique de S.ink ? Du post rock. Simple,
direct, efficace. Point ici de recherches de
nouveauté, pas d’exploration dans le monde de
la musique de chambre ou dans les recoins de la
pop à voix. Du post rock. Point final. Comme à
ses pas si lointaines origines, et de très bonne
composition. Finalement assez éloigné de ses
actuels fleurons.
On se rappelle le revendicatif young
team de Mogwai, où les compositions
arrivaient à pas de souris, entraient discrètement
dans l’oreille, avant d’investir nos conduits
auditifs à force de vagues de guitare en tempête,
s’échouant entre enclume et étrier… Il y a
quelque chose de cette même marée du côté de
l’Egée. Mais est-ce parce que la méditerranée
n’est pas connue pour ses équinoxes… On a le
sentiment de se retrouver sur des plages
musicales, où échouerait l’écume d’une tempête
qui a du se produire quelque part en haute mer.
Restes de voile, de cale, de pont ; squelette
de batterie jazz, nappe de clavier, loop de
« métro » arpège
de cordes… Une tension dans cette onde
qu’on devine capable de bien des emportements.
Une tension qu’on soupçonne, mais qui n’éclatera
jamais vraiment –ou si peu- dans nos oreilles.
Les compositions finissent sur le rivage comme autant de
lames sonores en bout de course. Tout commence par
un signe, un cliquetis, une résonance d’ampli
poussé en puissance. S’en détache une guitare,
un frétillement de « charlé », un
petit morceau de clavier kraut ou l’ébauche
d’un morceau du TNT de Tortoise,
noyé sous la disto en arrière plan. Ensuite
vient la rythmique cyclique et très pure, les arpèges
de guitares. Ils camouflent l’âpreté du combat
contre les éléments qui a eu lieu à l’insu de
notre ouïe. Les patterns se répètent ad libitum
jouant de leur répétition pour augmenter
l’ambiance, le sentiment de tristesse qui point
en l’auditeur. Les titres s’achèvent, venant
mourir entre nos orteils. A nous de faire
attention où on met les pieds.
La mer est bleue, le ciel est bleu :
une mousse verdâtre lâche des morceaux de
compositions rock devant nos pas sur les galets.
Etonnement. On se sent inquiet, comme à l’époque
de Pornography
de Robert Smith ou dans les sections
musicales des films de David Lynch. En
petites touches très fines et infiniment bien
agencées, S.ink réussit à donner aux
rivages de la baie de Salonique des airs de côte
bretonne battue par des embruns parcimonieux. Tout
en romantisme, points de rupture, spleen et
noirceur. On quitte le disque en regardant le sol,
mélancolique (peut-être est-ce pour cette raison
que la pochette de l’album consiste en une
photographie mosaïque de pavés ?). Une œuvre
qui remue sans pour autant chercher l’originalité
à tout prix, un groupe dont on aimerait croiser
l’univers lors d’un hypothétique concert
européen. Un pur moment de plaisir… grec, pour
un sale con. Mea culpa.
Denis
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