Wilco
- a ghost is born
Nonesuch - 2004
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Quelle
belle trajectoire que celle des chicagoans ! Alors
qu’ils auraient pu se contenter d’une honnête carrière
de country-rockers modestes et aimables (des Jayhawks-bis
en somme, groupe foncièrement attachant, voire
talentueux, mais rarement transcendant), formation pour
éternels étudiants urbains mais rêvant de contrées
plus bucoliques, les voilà dans le peloton de(s) tête(s)
chercheuses, en perpétuelle évolution et remise en
question.
Ce disque voit ainsi le groupe muter pour la 4ème
fois consécutive. Et chose d’autant remarquable, que
ça soit sur la pop bucolique et beatlesque de Summerteeth,
la post-pop de Yankee Hotel Foxtrot, ou ici, le
groupe ne tourne absolument jamais véritablement le dos
à ses racines americana de Being There, son
premier album abouti. Mais le propre des grands artistes
n’est-il pas de se renouveler tout en restant eux-mêmes,
fidèles à ce qui fait leur spécificité et qui les
distingue de la masse ?
D’emblée, A Ghost Is Born rompt sensiblement
avec l’ambiance instaurée par son prédécesseur :
le son est clair, net, plus direct, plus « live »,
sans fioritures pourrait-on presque dire. Il ne passe
pas par ce filtre cotonneux quasiment prog qui faisait
de YHF une oeuvre un poil trop abstraite (c’est
vraiment pour lui trouver un petit défaut hein). Ici,
les ruminations de Jeff Tweedy, songwriter
inconfortable, prennent véritablement place au centre
des débats : on avait sans doute oublié à quel
point ce type sait émouvoir sans verser dans le pathos,
dans l’exhibitionnisme crasse (immense, déchirant Hell
Is Chrome). Structurant ses compositions par un
piano omniprésent (c’est LA nouveauté du disque sur
la forme), ses chansons souvent douloureuses, toujours mélancoliques
accèdent à cette sphère intemporelle squattée par
les grands auteurs-compositeurs américains
n’appartenant à aucune chapelle en particulier, mais
un peu à toutes (on pense par exemple très fort à Randy
Newman sur Theologians).
Si le grand Jim O’Rourke appose encore
sensiblement sa patte (les intros délicates de Hell
Is Chrome ou Muzzle of Bees, les guitares
rugueuses de I Am a Wheel, pourraient sans problème
figurer sur Eurêka et Insignificance, ses 2 derniers
albums), son influence semble cette fois complètement
digérée et assimilé par le groupe. Les solos de Jeff
Tweedy notamment, épileptiques et free, déchirent
littéralement certains morceaux (At Least That’s
What You Said) d’une manière inédite. Nul doute
également qu’il ait une large part de responsabilité
dans ce Less Than What You Think expérimental et
jusqu’auboutiste ou sur Spiders, véritable
krautrock américain décoiffant. Hier producteur auprès
duquel Wilco cherchait à s’encanailler et à
sortir de sa routine, il apparaît aujourd’hui comme
un membre à part entière : après avoir intégré
Sonic Youth, va-t-il devenir le 5ème
Wilco ?
Question anecdotique bien sûr, et d’autant plus à
l’écoute du résultat : A Ghost Is Born,
est l’album-somme d’un groupe au faîte de son
inspiration et de son art, qui voit son audace et son
talent le (nous) récompenser un peu plus à chaque
nouvelle galette.
Laurent
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