musique

Cabaret Walter- Un cadavre exquis  

Cabaret Walter/La Baleine - 2005

 

 

 

    L’association lilloise Cabaret Walter, maison d’édition de son activité a comme paradigme existentiel de faire collaborer des artistes d’horizons géographiques et/ou artistiques différents, en mélangeant les genres d’activité, les supports et les domaines de création. Pour son avènement au grand public « musical » l’association a proposé un jeu à différents musiciens. La volonté de les faire travailler sur un projet commun, fruit amalgamé de leurs envies et sensibilités particulières a pris la forme d’un « cadavre exquis » musical.

 

    Un cadavre exquis : késako ? Mais si ! Vous savez bien, le procédé littéraire… euh le jeu quoi, qu’on faisait au lycée ou à l’athénée, qui consistait une phrase sur un papier, puis replier le papier et le passer au suivant dans la classe. Ce dernier avait pour interdiction de lire une autre phrase que celle écrite par son immédiat prédécesseur, et devait ensuite rédiger son bout rimé à la suite de la phrase précédente, avant de replier le papier et laisser le suivant s’exprimer sur l’A4 plié, de la même façon. Le résultat final était souvent abscons. Parfois troublant ou vaguement poétique. Perpétuant en musique cette tradition scolaire, qui fit par ailleurs les beaux jours des poètes surréalistes ou du mouvement Dada, le Cabaret Walter invite dix groupes ou compositeurs à proposer chacun la ligne musicale inspirée de son prédécesseur et dont les composantes serviront au suivant pour composer une partition musicale de 10 titres unies par les liens du relais au demi hasard. Demi… oui, parce que pour canaliser l’effervescence des artistes conviés CW a disposé quelques règles constitutives : -durée du morceau entre trois et cinq minutes, - chaque morceau se finit sur une boucle exécutée par un ou deux instruments, - chaque musicien s’engage à ne connaître que le morceau de son prédécesseur, - chaque morceau débute par l’appropriation de la boucle précédente, en vue de créer une certaine harmonie d’ensemble.

 

    Au delà de l’intellectualisme de la démarche, qu’en est-il du produit musical émanant de ces élucubrations, et du plaisir d’écoute qui en découle ? Ben quelque part on a envie de dire qu’on ne plie pas des gens comme Dominique A, Rudy Trouvé, Thomas Belhom, Naïm amor, Dirty three ou Venus à ce genre d’exercice sans que l’émulation entre les groupes et le souci de se défaire de la contrainte, ne provoque quelques étincelles, sinon de génie, au moins de grande efficacité. L’ensemble est donc étonnement consonant, malgré l’absence relative de visibilité dont chaque musicien dispose et malgré les univers assez différents (quoique…) dont proviennent les instrumentistes. Chaque artiste pose sa patte, sa griffe, sur un spleen communicatif qui infuse tout l’album. Des longues plages d’atmosphères, aquarelles grises, où chaque musicien apporte son onde, son écho particulier. Ainsi, Rudy Trouvé et Dominique A apportent leur jeu de guitare et leur voix si particulières, a d’obscures ballades au format pop, là où d’autres jouent à récupérer justement le morceau de loop final le plus improbable, et tandis que d’autres formations essaient de dépareiller le moins possible des sonorités précédentes, rendant malaisée la recherche du moment précis où un morceau se termine pour céder la place au suivant. Difficile d’ailleurs, ici, de se prêter à l’analyse titre à titre ou artiste par artiste, en jaugeant un à un les mérites et déboires (légers parfois, peut-être plus un compromis avec une certaine facilité mélodique qu’un réel ratage musical) d’un projet qui brille par l’efficacité langoureuse du résultat complet : cette dissection serait par ailleurs aller à l’encontre du principe même de tout cadavre exquis… "Au diable le culte de l’individu auteur et vive celui de l’individu compilatoire".

 

    En l’occurrence ici un cadavre vraiment exquis, triste troublant et attachant à la fois. Une vraie réussite.

 

Denis Verloes

 

Tracklist :  

01 La porte du cabaret conduit à l’hôpital

02. A piscina

03. Early days of summer

04. In a frame

05. A la suite

06. Tropicana club

07. Somewhere between Rude and the Rudouest

08. Squashing daisies

09. Confiscated song

10. Eleven

 

Durée : 38'56

Date de sortie : 9 mars 2005

 

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www.cabaretwalter.com