Daniel
Johnston - Fear Yourself
Gammon
records - 2003
Johnston
a tout pour revendiquer le statut enviable de poète
maudit, de l’indie romantique folk outle-atlantique.
Moulé dans un physique de nounours sur le retour, il
possède une voix cassée et fluette, de l’accabit de
celles qui ont porté Shane Mac Gowan au pinacle
avec les Pogues. Johnston est aussi l’
auteur de textes qui feraient pleurer les pierres les
moins sensibles, apanage souvent réservé à sa majesté
Tom Waits. Deux arguments, atouts, pour prétendre
au titre. De plus comme Johnston souffre, à
l’instar de Barrett ou Brian Wilson, de
troubles psychologiques qui l’envoient régulièrement
à l’hôpital et, comme il compte au nombre de
ses fans les membres de Yo la Tengo et de Sonic
Youth mais aussi feu le leader de Nirvana Kurt
Cobain, c’est haut la main qu’on place Johnston
au panthéon des artistes intouchables par essence,
maudits par nature.
La cuvée 2003 de l’artiste, auteur d’une quinzaine
d’albums depuis 1981, confirme ce statut. Pas de grand
changement pour le personnage qui travaille cette fois
avec Mark Linkous des Sparklehorse. Il y
fournit les écrins mélodiques aux ballades douces-amères
de Johnston.
Les
12 titres qui composent l’album s’enchaînent, un
peu trop anonymement, pour réellement transcender
l’auditeur et faire sortir l’artiste du cercle fermé
de ces amateurs. Linkous y trouve pourtant le ton
juste pour accompagner le vieux cow boy. Son piano à
queue sert les complaintes nasillardes du désespéré
un brin pleurnichard, d’Austin. A coup de folk,
Johnston essaie de nous faire plonger, avec
lui, dans la torpeur de sa vie et de ses aventures
amoureuses, contées à ce comptoir de saloon pourri
qu’est son disque. Histoire d’endormir notre méfiance,
il tente à quatre reprises de nous montrer un visage
plus dynamique. Ce
sont les « rockeux » Mountain top, Fish,
Love not dead et Living for the moment. Trop
polies pour être vraiment honnêtes, leur classicisme
les trahit. On y reconnaîtrait presque du Dogbowl à
qui on aurait enlevé tout le côté festif et décalé.
Et puis, on repère bien vite que chacun de ces essais
n’est qu’une tentative de plus pour nous faire
tomber encore plus bas dans la mélancolie du titre qui
lui succède, mélancolie servie par cette voix étrange
qui à la longue arrive à la limite du supportable.
Alors ?
Alors soit on se reconnaît dans les histoires de Fear
yourself, on se laisse entraîner par la boue et on
risque de ne jamais se relever … Ou bien on
repousse du pied la porte de son univers et on exorcise
les idées noires qu’il a réussi à nous donner en se
foutant du petit bonhomme jaune tout mal fichu qui sert
de blason à la pochette du disque et qui ressemble un
peu, finalement, à la musique de Johnston. Mais
peut-être est-ce volontaire ?
Denis
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