Pour
parvenir à une écoute sereine de l’album de Leva
et Lola lafon ; il convient de se départir
de l’imagerie franchement "no-no" qui
entoure celle qui fut romancière avant de nous parvenir
muée en leader de groupe mi-rock mi-électro mi
traditionnel. S’abstraire, au moins un peu, de cette
image franchement "hype" qui a séduit la
presse et qui continue à bruire dans le landerneau
parisien. Elle, ce double en chair et en sang de son héros
de fiction : Bulgaro-roumaine, fan de rock (Rolling
Stones, Jeff Buckley, Patti Smith, Janis Joplin),
après avoir chanté involontairement les louanges de Ceausescu
et subi l’ultime ignominie que le mâle puisse imposer
à une jeune fille de 14 ans. Elle, arrivée à l’Ouest
en déboulant dans les rangs des alter-mondialistes par
sa phalange la plus déterminée : les black
blockers ; ces cagoulés en basket de marque
persuadés que le capitalisme ne s’écroulera que si
on lui donne un sacré coup de barre à mine.
Il
faut arriver à dissoudre un certain battage médiatique
et un écheveau "idéologico-people-isant"
pour ne se pencher ici que sur le volet musique de la démarche.
Comme le dit la bio, c’est une bande de citoyens du
monde qui se présente à l’auditeur. Un Macédonien
à la guitare, un Serbe à l’accordéon, un Français
à la basse, un Belge aux samples, une Franco-Biélorusse
au chant ; pour un album qui plonge son inspiration
dans la folk électro-acoustique internationale et dans
le folklore des Balkans. Une galette qui se sert aussi,
pour mieux porter les mots de sa chanteuse, de ci- de là,
de samples dits ténébreux autant classiques que "Sarkozyens".
Si
la formule risquait, sur papier, de virer à
l’exercice de style et à l’album prétexte pour
auteur rebelle en quête d’inédit (écueil où
l’album tombe parfois, cf. l’introductif Mon âme),
on est étonné de la cohérence sonore globale de
l’ensemble. En fait c’est un peu, musicalement
parlant, comme si Emir Kusturica croisait la
route du Angles de Arca. Toutes
proportions gardées bien entendu. Et, on a beau
chercher, on ne voit guère d’album mêlant le chant
en français et en roumain, le folklore est-européen et
la pop d’aussi efficace façon. Leva est unique
en son genre et l’assume plutôt bien, même pour un
auditeur qui, comme votre serviteur n’a aucun bagage
ni aucune forme d’appétence pour les sonorités de ce
type.
Sur
cette base musicale plutôt réussie, la plume de Lola
Lafon fait mouche, surtout quand elle parvient à
s’élever du strict discours "alter", tant
ressassé qu’il a fini par perdre sa force d’évocation
(L’euro l’Otan l’atome, le bilan de compétence).
Elle manie les sonorités et les images (complètement
à l’ouest), les mots et l’imaginaire (Décolère)
de fort harmonieuse façon.
L’album
surprend donc parce qu’il n’est pas un faire-valoir
musical, permettant à Technikart ou Libération
d’aller parler de sa front-woman en dehors des pages
société. On sent que Leva est un groupe qui a
une identité propre, un ligne sonore définie et un
parolier déterminé. En fait, le vrai bémol de cet
opus ne tient ni dans la démarche, ni dans la
personnalité de sa chanteuse, mais dans sa voix. Grinçante
comme un violon tzigane, l’organe de Lola Lafon
lui permet certes d’implorer, de murmurer, de
souligner les phrases ou de recréer un chœur bulgare
à elle seul ; reste qu’au fil de la petite heure
que dure grandir à l’envers de rien, on a du
mal à ne pas se ménager quelques pauses pour éviter
que l’irritation vocale ne vienne gâcher un plaisir
d’écoute globalement complet.
Denis
Verloes
Tracklist :
01.
Mon âme
02. Le bilan de compétence
03. Complètement à l’ouest
04. Drôle de rage
05. Lele Jano (Et même si le monde est de pierre)
06. A quel âge
07.L’euro,
l’Otan, l’Atome
08. Les steppes claires
09. Paint
it, black
10 Décolère
11. Yulay
(... et les fantômes n'existent pas)
12. Décongèle tes rêves
13. L’aube nouvelle
Durée :
56’ 24’’
Date
de sortie : février 2006
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Site
officiel
Label
Bleu
Une
fièvre impossible à négocier, Lola Lafon. Éd.
Flammarion, 339 pages - 18 euros - 2003
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