Great
Lake swimmers - s/t
Ben
Weaver - Stories Under
Nails
Fargo/Night
& Day - 2004
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Depuis plusieurs années déjà, la valeureuse équipe
de Fargo Records s’évertue à faire entendre à
quelques irréductibles crétins des Alpes agrippés à
leurs préjugés sans
fondements que la country (ou affilié), c’est
super bath. Hors des sentiers nashvilliens, de leur
puritanisme et de leur mercantilisme, une flopée
d’artistes américains joue une musique authentique et
brute, sensible et inventive : Clem Snide, Neal
Casal, Paula Frazer ou Jesse Malin et White
Hassle dans un registre nettement plus rock (et pour
citer quelques uns de leurs poulains), nous rappellent
sans cesse que non, la musique américaine « traditionnelle »
n’est pas faite uniquement pour des truckers imbibés
à la Bud, et que oui, la country est un genre vivant. A
tel point qu’il ne s’est peut-être jamais aussi
bien porté que ces dernières années (disons depuis
l’émergence du mouvement alternative-country) :
la preuve encore aujourd’hui avec la parution sur le même
label de ces 2 albums d’Americana pourtant
radicalement différents.
Les Great Lake Swimmers ne sont en fait qu’un,
le dénommé Tony Dekker, canadien de nationalité.
Son premier album a été enregistré dans une ferme
abandonnée de l’Ontario, et autant vous le dire tout
de suite, ça le fait grave comme on dit sur Fun TV (qui
ne diffuse que très rarement des clips d’alternative-country).
Le disque baigne dans une ambiance un peu irréelle à
laquelle le chant continu des grillons en fond ne
contribue pas qu’un peu.
GLS
c’est le
versant apaisé de la country : une belle soirée
d’été, la pleine lune, quelques mélodies à la mélancolie
confortable pour accompagner en douceur la fin de la
journée. C’est Neil Young rangé de l’électricité
et des coups de sang, les merveilleux Kingsbury Manx
et leur folk indolent, My Morning Jacket (tiens,
un autre groupe qui enregistre dans sa grange…) sans
le foisonnement foldingue.
C’est sans doute plein d'autres réminiscences en vérité,
mais on s'en fout un petit peu car les chansons de Tony
Dekker sont belles et se suffisent à elles-mêmes
dans la magie de l'instant où elles nous parviennent.
Leur extrême douceur un peu triste s’adresse
d’abord au cœur : GLS joue la carte d'un
certain angélisme qui trouverait son expression la plus
parfaite dans The Animals of the World, morceau
gracieux, en apesanteur, qui pourrait tout à fait se
prolonger d'une demi-heure ans qu'on trouve quoi que ce
soit à y redire. Ca monte et ça monte encore, tout
doucement, une guitare acoustique ayant pour seul
soutien un orgue timide et c'est magnifique.
Ben
Weaver lui,
c’est autre chose. Sa musique, ce sont d’abord des
mots : écrivain à ses heures perdues, il est un
storyteller, un conteur au sens américain du mot, quand
les Great Lake Swimmers seraient plutôt des
peintres des sentiments.
Et
les histoires qu’il nous raconte, il est allé les
chercher sous ses ongles (cf. le titre), qu’il n’a
visiblement pas fait manucurer depuis un bail :
histoires de chômeurs, de fin de mois difficiles, de
mauvaises bitures. Des histoires en somme de type qui
n’est jamais allé en Californie, état-étendard de
l’American way of life qu’on voudrait nous vendre.
Un type qui, sur les photos de son site web, pose sous
le porche de sa maison, casquette-filet éternellement
vissée sur le crâne, affalé sur un canapé pourri, au
milieu d'un beau bordel et en compagnie de son chien. Un
type qui a beaucoup écouté Tom Waits, Johnny
Cash et le Nebraska de Bruce Springsteen :
à 25 ans, il chante et maîtrise son art comme s’il
en avait 10 fois plus. Comme eux, il s’accompagne
d’instruments traditionnels (lap-steel, banjo, orgue,
batterie minable) utilisés avec parcimonie. Il connaît
la différence entre le Bien et le Mal, tout en sachant
pertinemment que tout n’est pas si simple. Il raconte
les destins brisés, les « cowboy hands » et
les « smalltown stares » des petites gens
qui « montent le rocher en haut de la colline pour
mieux le voir rouler jusqu’en bas » (sur Like
a Wound). Mais de ce quotidien pour le moins sombre,
la lumière n’est jamais totalement exempte.
Point commun de ces 2 disques à priori opposés (les écouter
à la suite : d’abord le Weaver pour être
un peu secoué, puis les GLS pour panser ses
plaies): le bien-être que leur écoute procure. Musique
terrienne par excellence (et pour cause...) la country,
qu'elle soit alternative, traditionnelle, orchestrale,
lo-fi etc. est au plus près des préoccupations des
hommes, alternativement douloureuse et réconfortante,
ou les 2 à la fois. Comme
le dit Weaver, « it is what it is, it's
sorrow and bliss », elle est tristesse et béatitude.
Humaine en
somme.
Laurent
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