Alexandre
Navarro est le fondateur du net-label Eko.
Il est également musicien et auteur, depuis
2004, de quelques albums sur divers net labels.
Personnage attachant et passionné, il nous parle ici de
ce qui lui a donné envie de fonder un net label, mais
aussi de sa formation de musicien, de sa manière de
faire de la musique, de ses goûts...
Qu’est
ce qui t’as donné envie de créer un net label ?
Pour
être franc, je ne connaissais rien aux netlabels il y a
3 ans…
Petit
retour en arrière donc : en 2004, lassé
d’envoyer d’innombrables démos à des labels qui ne
s’intéressaient pas à mon travail, et relativement
« ruiné » par des envois intempestifs de
courriers postaux, j’ai décidé de faire une petite
page web sur laquelle deux de mes morceaux étaient en téléchargement,
et c’est peut-être là que tout a vraiment commencé…
par un effet "boule de neige".
Je parcourais le web en ingurgitant des listes et des
listes de labels, à qui envoyer des mails avec
l’adresse de ma page, bien décidé à ne plus envoyer
de démos physiques car persuadé de la quasi-absence de
réponses en retour (en l’espace 3 mois j’ai dû
envoyer environ 500 e-mails !).
Un
jour, Dblue
artiste et fondateur de la communauté dopedesign
(devenue http://illformed.org
aujourd’hui) met un de mes titres en ligne après
m’avoir contacté. Et là, je remarque qu’il est téléchargé
500 fois en l’espace de quelques semaines… Immédiatement
ça a fait tilt dans ma tête : d’autres
personnes que mes amis écoutaient enfin mes morceaux !
Je ne veux pas en rester là, alors je continue à
envoyer des e-mails avec l’adresse de dopedesign et la mienne, et c’est quelques semaines plus tard je
suis contacté par Roger
Stucki fondateur du netlabel suisse allemand realaudio.ch.
Il veut en savoir plus… j’upload mon album Please,
sit down sur leur serveur : il veut le produire
immédiatement. Il m’explique alors les tenants et les
aboutissants de son netlabel et ce qu’est la license
creative commons. J’accepte après réflexion sans
savoir vraiment où je met les pieds, au feeling
disons. C’est à partir de ce moment là que je me
suis immergé véritablement dans la scène netaudio :
premières chroniques allemandes (debug,
modern klangunst), premier live à l’étranger,
et quelques 3000 téléchargements pour ce
premier opus. De là j’ai signé sur d’autres
netlabels. Voilà un peu mon histoire…
Et
donc par la suite j’ai créé mon netlabel après ma
rencontre avec Sacha
Vojvodic (à la tête du projet Letna
et boss du net label Standardklikmusic),
qui m’avait contacté pour un ep. On est devenu amis
et il m’a poussé à créer eko
car au départ j’hésitais… C’est vrai que je
trouvais qu’il y avait trop de techno sur les
netlabels en qu’en matière d’ambient c’était
assez pauvre ; d’autres part je ne connaissais,
à part celui de Sacha, aucun netlabel français. Je
voulais qu’eko
donne une chance à des artistes de qualité qui méritent
vraiment que l’on parle d’eux.
Quels
rapports entretiennent les netlabels entre eux ? Y a
t-il une communauté ?
Je
crois que l’on peut dire qu’il y a des écoles,
surtout électroniques d’ailleurs (tec, ambient,
electro-acoustique, tous les "...tronica" et
le dub façon R&S) et une sorte de communauté
« tacite ». Mais en ce qui me concerne, elle
n’est pas spécialement affirmée et je ne souhaite
pas particulièrement la développer.
Je
n’aime pas trop les "communautés" et préfère
l’idée fraternelle de l’entraide et de l’échange
tout en conservant chacun nos spécificités et notre
indépendance.
Et puis, je ne fais pas du "netaudio" une fin
en soi, mais plutôt un moyen, un outil, permettant de
parler de la musique indépendante et de la promouvoir.
Bon,
je ne te cache pas que nous avons des amis, comme les
internautes peuvent le voir sur les liens du site d’eko,
mais ce n’est pas pour autant une communauté comme on
pourrait l’entendre.
Quels
sont les liens entre eko et Standard Klik Music ?
Sacha
est devenu un ami après qu’il m’ait contacté pour
un ep. On ne se connaissait pas du tout mais étant tous
les deux sur Paris, on s’est rencontré et on s’est
rendu compte qu’on était d’accord sur beaucoup de
choses ! Ca nous a décidé à nous associer afin
de créer ensemble un nouveau label, SEM,
qui démarrera début 2007 et avec lequel nous
produirons des artistes sur support cds/mp3 payants et
peut-être même aussi des dvds si on a assez de sous !
malgré tout, nous conserverons nos deux plates-formes
gratuites qui sont de bons tremplins pour tous les
artistes que nous aimons et souhaitons aider.
On
remarque aujourd'hui que des choses excellentes
(notamment dans la musique électronique ou électro-acoustique)
paraissent sur des netlabels et pourraient être
largement signés sur des labels traditionnels. Cela
veut-il dire que les artistes préfèrent être diffusés
plus largement, plus facilement et gratuitement grâce
au net plutôt que de prendre le risque de ne vendre que quelques
disques en étant sur un label classique..? Ou est-ce
avant tout une question de philosophie, d'idée de
"partage de la musique", etc... d'après toi ?
Ca
dépend des personnes... comme je te le disais, je ne
suis pas un fanatique du "creative commons" du
gratuit à tout prix, etc… il faut penser aux artistes
et aux producteurs qui travaillent et qui ne vivent pas
hors du temps et de la société actuelle.
Je
pense que rémunérer un artiste c’est important. Après
il faut peut-être repenser les modes de rémunération
qui, pour la musique indépendante, sont très faibles ;
d’où l’intérêt d’insister sur la promotion afin
que ces artistes puissent se produire sur scène et se
faire connaître.
Sinon,
je pense sincèrement que peu d’artistes se disent
« je ne souhaite être que sur internet gratuitement »,
et puis le support physique à toujours son effet… en
tout cas pour ma génération. Les 15-20 ans, à mon
avis, s’en foutent un peu et le cd va peut-être
devenir un peu comme le vinyl il y a 20 ans…
Reste que la diffusion internet est indispensable pour
la musique indépendante aujourd’hui. Il faut donc
trouver un équilibre entre payant et gratuit sans
tomber dans le fanatisme d’un côté comme de
l’autre, c’est une sorte de nouvel artisanat électronique
où chacun peut proposer son petit "chef d’oeuvre".
Finalement, on joue le rôle des maisons de disques à
leur début, lorsqu’elles laissaient l’artiste se découvrir
lui-même et évoluer avec son travail, sans la pression
de vendre obligatoirement tout de suite.
Penses
tu toi sortir un jour un album sur un label traditionnel
?
Bien
sûr, j’ai eu des propositions et ce ne sera pas forcément
sur SEM… L’avenir dira…
Comment
es tu venu à la musique ambient ?
J’ai
essayé de nombreux styles, et étant guitariste à la
base, j’ai joué dans beaucoup de formations, du rock
à la chanson française… mais un jour, un copain
vendait sa
groovebox mc303 car il n’y trouvait pas son
compte, et du coup cette petite machine a vraiment révolutionné
mon approche de la musique car, pour la première fois,
en complément d’un magnéto 4 pistes, d’une pédale
delay et d’une guitare, je pouvais expérimenter plein
de choses très spontanément et sans complexe. J’ai
vite compris que j’adorais composer de
l’instrumental et « bidouiller » les sons.
C’était autour de 1995 à l’époque de mo
wax, ninjatune, warp, au moment où le sampler est
devenu instrument de composition central en musique électronique.
Petit à petit, ma musique à prix forme…
Un
ami de la fac s’était inscrit à un concours pour
entrer en classe de musique électroacoustique au CNR
(conservatoire national de région) de Bordeaux et
m’en à parlé, il m’a un peu briffé et fait écouter
des compositeurs car je n’y connaissais rien ! Je
trouvais ça à la fois étrange et très excitant.
J’ai donc passé le concours et on a été pris tous
les deux ! C’était là pour moi du délire total !
On avait accès à des vieux synthés korg, aks, kobol
etc… magnétos à bande revox, des mac G3 avec pro
tools (j’avais par d’ordinateur à l’époque)…
j’ai beaucoup appris sur le son, j’aimais beaucoup
l’approche concrète de Michel
Chion ou encore Bernard
Parmégiani, deux compositeurs (membres du GRM :
Groupe de Recherche Musical fondé par Pierre
Shaeffer en 1949) très différents mais dont
l’approche "sensible" plus
qu’intellectuelle
m’a particulièrement touché. J’invite les
compositeurs à écouter l’opéra concret de chion
ou encore de natura sonorum de Parmegiani…
Par la suite, je me suis un peu lassé de
l’approche du son, pure et dure, car j’ai toujours
aimé la mélodie et c’est pourquoi je me suis
concentré à nouveau sur des choses plus accessibles.
Comment
travailles–tu, Comment composes-tu ?
Je
pose mes idées très vite car la majorité du temps les
choses réfléchies ne me plaisent pas. Je prends plus
de temps pour le montage et surtout le mixage.
J’enregistre
des guitares "ambient" que je traite avec mon
sampler, j’aime beaucoup les sons concrets et naturels
aussi. J’ai deux synthés de prédilection. Le tout
fonctionne dans l’ordinateur.
J’essaie,
lorsque je réécoute mes titres, d’être le plus
distant possible par rapport aux morceaux, en laissant
passer du temps, comme s’ils venaient d’un autre
artiste. J’aime que les morceaux me donnent envie
d’en composer d’autres, exactement comme lorsque
j’écoute un artiste qui me plait et qui me donne le désir
de m’y mettre à nouveau. Bizarrement ce sont parfois
des artistes aux styles très différents, à mille
lieux de l’électronique, qui me donnent envie de
faire de la musique.
Qu’est
ce que tu essaies de faire passer à travers ta musique
?
Je
crois que c’est prétentieux d’avoir un message,
mais j’essaie d’être au plus près de ce que je
ressens, ce que je considère beau et qui pourrait éventuellement
permettre à d’autres de ressentir une forme de
« beauté » ? une sorte de nostalgie
positive et ouverte… Le plaisir de se sentir paisible
et serein.
Ta
musique est utilisée pour des projets artistiques, des
expositions, etc... Peux-tu nous en dire plus à
ce sujet ?
J’ai
collaboré à différents projets dont le plus « important »
a été la création d’un oeuvre sonore pour le scénographe
et architecte Frédéric
Druot pour une commande du FNAC (fond national d'art
contemporain) Less
and More, 20 ans de design. J’ai travaillé aussi
avec le vidéaste et designer Sam
Graf pour différents travaux. Les collaborations
sont des expériences délicates mais très
enrichissantes. En revanche, l’idée de tapisserie
musicale ne me plait pas trop, les installations étant
assez compliquées à mettre en place pour que le
rapport musique / environnement fonctionne de façon équilibré.
Comme l’avait justement souligné un jour Frédéric
Druot : on
se retrouve souvent, à travers les collaborations, avec
d’"heureux
malentendus"
(!)
Qu’écoute
tu généralement comme musique ?
J’écoute
tellement de choses différentes les unes des autres que
j’ai du mal à trouver des exemples… Mais c’est
vrai que chaque époque et chaque moment à son artiste
et, en ce qui me concerne, je ne peux pas faire
l’impasse sur Martin
Gore (Depeche Mode Black Celebration)
, Brian Eno (Another
Green World) Gabriel
Fauré (Requiem) ou encore Claude
Debussy (La
Mer, Nuages…), pour les plus grosses influences…
Sinon j’ai bloqué longtemps sur Ellioth
Smith (X.O.)
, Sonic Youth (goo) Squarepusher
(Hard Normal Daddy) et Grandaddy
(The Software
Slump) et beaucoup d’autres ! …
en
ce moment, j’écoute Peter
Bjorn And John, Akufen,
Helios, Dubtractor et
bien sûr les artistes d’eko
et skm !
Propos
recueillis par Benoît Richard
octobre
2006
Plus+
Chronique
de Ame & Dimension
www.alexandrenavarro.com
Quelques
net labels
www.realaudio.ch
www.standard-music.net
www.ekonetlabel.com
http://www.derives.net/sis
www.acrylik.net
http://archipel.cc
www.monocromatica.com/netlabel
www.kikapu.com
www.serein.co.uk
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