“You
came to take us, All things go, all things go, To
recreate us, All things grow, all things grow”.
On a beau essayer de penser à autre chose: Chicago
est scotché sur nos lèvres, au fond de notre esprit.
Dans
quelques minutes, Benzine a rendez-vous avec Sufjan
Stevens, héraut du pop-folk américain. Notre homme
est de passage à Paris ce mercredi 26 octobre 2005 pour
son premier concert français. Une première date qui
affiche complet depuis quelques semaines.
Sufjan
Stevens donc.
Auteur du plus bel album de l’année, Come
On Feel The Illinoise, Une cagoule Michigan sur la tête,
un sac Illinoise en bandoulière, il est assis près du
canal St-Martin, juste à côté du Point Ephémère.
Les yeux dans le vague. Mais un sourire accroché aux lèvres.
Depuis
la sortie d’Illinoise, les chroniques sont
unanimes, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe.
C’est
vraiment encourageant. Et ça fait réellement plaisir.
Mais j’essaie un maximum de pas trop les lire, n’y
d’en tenir compte. Par contre, il ne faut pas se
croire arrivé, bien au contraire. Une année, tu es à
la mode, et l’autre tu n’es plus qu’un artiste
ringard sans intérêt. Ca va tellement vite dans ces
cas-là.
Ce
que je remarque qui me touche assez, c’est qu’on
voit l’émergence d’une nouvelle scène en ce
moment, avec des artistes au vrai talent, qui tranche
avec la soupe à laquelle on est généralement exposé.
Des gens comme Anthony & The Johnsons sont
passionnants et me touchent tout particulièrement.
Sur
le morceau Come On Feel The Illinoise, le refrain
à un petit je-ne-sais-quoi de Close To Me des
Cure ? Hommage ?
(sourire)
A dire vrai, je n’y ai pas pensé quand j’ai écrit
ce titre là. Et c’est en l’écoutant que j’ai
senti qu’il y avait de ça. Donc je l’ai un peu
retravaillé, histoire de. J’ai toujours beaucoup aimé
les Cure. C’était une façon de leur rendre
hommage. Mais ce n’est pas le seul morceau où il y a
des clins d’œil.
A
l’occasion des 40 ans de la sortie de Rubber Soul
des Beatles, vous venez de reprendre What Goes On, pour
un Tribute Album qui vient de paraître. Comment
cela s’est-il passé ?
A
la base, je ne connais pas vraiment Rubber Soul.
Je suis plus familier de Sergent Pepper ou du Magical
Mystery Tour. Ce qui est drôle, c’est que je m’étais
promis que je ne ferais jamais une cover des Beatles.
Pour moi, ce sont des icônes. Ils ont presque inventé
la pop, ils l’ont rendue planétaire, et je ne voyais
pas l’intérêt de reprendre un de leur titre.
Quand
on m’a proposé de reprendre What Goes On,
j’ai hésité. Et puis j’ai décidé d’en faire
presque un autre morceau, en tranchant complètement
avec l’original.
Au
final, c’était une bonne expérience. Et ça me fait
en plus vraiment plaisir de reprendre ce titre car il a
été écrit par Ringo. Et je suis fan de Ringo.
J’adore son jeu de batterie. Quand on pense aux Beatles,
on pense souvent à Lennon, Mc Cartney voire
Harrison. Mais beaucoup moins à Ringo. Et
pourtant, il a eu son importance.
Dernièrement,
lors d’une interview sur la radio américaine KRCW,
vous expliquiez travailler sur trois nouveaux albums
pour le projet « 50 States » :
L’Oregon, le New-Jersey et Rhode Island. Qu’en est-il
aujourd’hui ?
A
dire vrai. Ce n’est pas faux sans être tout à fait
vrai. J’ai mis de coté ces trois états. Et en ce
moment, j’écris des morceaux sur le New-Hampshire et
l’Arkansas. Donc je ne peux pas dire quel sera le
sujet de mon prochain album.
J’aimerais
aussi beaucoup collaborer avec des artistes de chaque état.
Enfin, si musicalement ça colle bien évidemment. Je
pense que ça pourrait être une bonne idée de faire
progresser et évoluer le projet. Et puis, quand j’en
aurais marre, je créerais des franchises avec mon idée
un peu folle de « 50 States ». Comme
McDonald’s. (rires)
Aujourd’hui,
on tourne beaucoup. On n’arrête pas. Et j’avoue être
un peu fatigué. Je n’ai pas forcément envie de
sortir un nouvel album tout de suite. J’ai besoin de
respirer. Une année de repos me fera sûrement du
bien.
Toujours
dans de récentes interviews, vous avez déclaré ne pas
vouloir écrire un album sur le Texas. Pourquoi ?
Ne pensez-vous pas qu’il y aurait justement des choses
à dire ?
(sourire)
Effectivement, il y a beaucoup à dire. Le Texas est un
endroit où les sujets ne manquent pas. Cet état a
toujours eu une place à part. C’est un empire à lui
tout seul. Et il a été presque forcé de rejoindre les
Etats-Unis.
Le
problème n’est pas forcément l’opinion négative
que tout le monde a sur le Texas. C’est plus que je
n’ai pas envie de rester en surface et raconter ce que
tout le monde connaît. J’ai envie de creuser,
d’aller voir plus profondément, toucher plus concrètement
son histoire, ses anecdotes, etc. J’ai envie d’en
savoir plus en somme.
Après,
à savoir si je le ferais, je ne sais pas encore. Disons
que je ne suis pas pressé. La seule fois de ma carrière
où j’ai joué là-bas, ça c’est assez mal passé.
Si
l’on prend Michigan ou Illinois, tous
les deux jouent dans la cour de la folk-pop music. Lors
des prochaines étapes de votre projet « 50 States »,
pensez vous toucher à d’autres domaines musicaux ?
Oh
que oui ! J’ai envie d’expérimenter d’autres
styles. Pourquoi pas un disque de hard-rock pour l’état
de New-York, par exemple ? Et puis j’ai toujours
voulu faire du hip-hop. Ca peut sembler bizarre mais
c’est vrai ! (rires) Et je dois avouer que sortir
un disque de hip-hop pour l’état de Californie, avec
un gros son West-Coast, me plairait assez !
Et
quid de l’électro, comme sur Enjoy Your Rabbit ?
Ah
oui, retoucher à l’électro me plairait vraiment
beaucoup. J’ai vraiment envie de refaire un disque
dans ce genre.
Mais
au-delà de l’aspect musical, j’ai envie de faire
quelques expériences. J’aimerais réaliser une sorte
de road-movie, un film, avec une musique qui saurait se
mêler aux grands espaces. Du Dakota par exemple. En
clair, j’ai beaucoup d’idées.
Pensez-vous
sortir un jour un autre « Seven Swans » ?
Refaire
un autre Seven Swans, non. Ca n’aurait pas
d’intérêt. Mais si j’ai une idée qui tient la
route, pourquoi pas. Quand tu as le matériel et une
vision de la chose, à ce moment, tout devient possible.
On
peut trouver en fouillant Internet de trois « Christmas
Albums » enregistrés par vos soins. Comptez-vous
les sortir un jour ?
Ah
tiens, c’est vrai ! En fait, à la base, ce sont
des Eps de chansons de noël que j’avais offert à des
membres de ma famille et à des amis. Quant à les
sortir un jour, j’espère, oui. Mais à ce moment là,
je pense que je retravaillerais et réenregistrerais le
tout. Et j’ajouterais de nouveaux morceaux. Histoire
de faire sonner tout cela un peu mieux.
Il
est 17h30. L’air vicié parisien est toujours omniprésent.
L’interview touche à sa fin. On continue de parler de
tout et de rien, avant qu’il ne soit rappelé à
l’ordre par d’autres obligations professionnelles.
Peu
importe. Ces vingt minutes d’interviews confirment
tout le bien que l’on avait pu penser de lui lors de
notre première rencontre : un homme intelligent,
avec une bonne vision de son travail d’artiste. On
rajoutera aujourd’hui qu’il a, en plus, une
imagination débordante et des idées pleins le banjo.
Toutes
ses qualités, on les retrouve tout au long de ce
premier concert parisien, devant une assistance
surchauffée (et pas seulement par les 50°C du Point
Ephémère). Affublés d’un T-Shirt moulant présentant
un grand I, deux bandeaux jaunes aux poignet, Sufjan
et ses Illinoise Makers auront joué 13 morceaux,
agrémentés de petites passages à la tonalité très cheerleaders,
le plus souvent pour annoncer et présenter le prochain
titre.
Délirant,
joyeusement foutraque, cette bande de joyeux drilles
semblait particulièrement ravie d’être à Paris,
devant un public conquis. A leur tête, un Sufjan
Stevens rigolard mais très pro, à la voix toujours
aussi exceptionnelle et au toucher musical ébouriffant.
Après
les quelques révélations de cet après-midi, puis ce
concert, il y a des journées qu’on aimerait
prolonger. Et malgré une rame de métro bondée qui
nous ramène vers des activités plus terre-à-terre, on
ne peut s’empêcher de fredonner “You came to
take us, All things go, all things go, To recreate us,
All things grow, all things grow”. Définitivement
un des hymnes de l’année.
Propos
recueillis par Olivier Combes.
Photos
de Charly http://mr.tambourin.free.fr/sufjan/
Sufjan
Stevens
Discographie :
(2000)
A Sun Came
(2001)
Enjoy Your Rabbit
(2003)
Greetings from Michigan, The Great Lake State
(2004)
Seven Swans
(2005)
Come On Feel The Illinoise!
Plus+
www.sufjan.com
www.asthmatickitty.com
www.roughtraderecords.com
www.pias.fr
sayyestosufjan.net
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