Entretien
avec Jérôme Minière
Profitant de la sortie parallèle de Petit
Cosmonaute et de Herri Kopter, les deux
récents disques de Jérôme Minière, on a voulu faire le
point avec le petit français exilé au canada afin
d'avoir quelques nouvelles
de ce garçon au parcours décidément très atypique.
Benzine
: Cinq
ans presque entre La
nuit éclaire le jour qui suit et Petit
Cosmonaute. Qu’est ce que tu as fait pendant tout ce
temps ?
Jérôme
Minière :
En
fait je n’ai jamais arrêté. Je me suis installé plus
définitivement au Québec : J’ai eu un enfant et
j’ai signé avec un label de Montréal (La Tribu). La
situation des artistes n’est pas la même qu’en France, nous n’avons pas de couverture sociale et le marché
francophone est petit, il faut donc beaucoup travailler …
J’ai donc écrit des musiques de films (un long métrage
et un documentaire), des musiques pour des expos, des
chansons pour d’autres artistes (dont Françoise
Breut) en plus de mes deux projets principaux, à
savoir, la chanson sous mon propre nom et la musique
exploratoire sous le nom d’Herri Kopter .
Mon disque Jérôme Minière présente Herri
Kopter est sorti en 2001 au Canada et « Petit
cosmonaute » en 2002 ; il nous restait avec la
Tribu à créer des liens avec l ‘Europe, ce qui a
pris du temps …
Comment as-tu abordé la composition de ce nouvel
album ? Combien de temps
s’est écoulé entre le début de l’écriture
et le mix final ? As-tu dû faire face à des
difficultés particulières ?
J’ai écrit énormément de chansons et ça partait dans tous les sens, j’ai d’abord
failli faire un disque très noir, ensuite un truc pop 80.
Tout ce que je savais, c’est que je ne voulais pas opérer
dans le même terrain de jeu que La nuit éclaire le
jour qui suit. Avec le temps, une couleur plus simple,
modeste et directe s’est imposée. Ce n’est pas un
disque qui est là pour casser la baraque, choquer ou
impressionner les gens, c’est un moment un peu plus
apaisé, du calme, des lumières douces, des textes plus
concis que par le passé.
Dans les yeux tout autour de la tête tu sembles vouloir prendre un peu
de recul par rapport aux problèmes de société. C’est
une forme de fatalité qui s’installe en toi ou
simplement tu t’es forgé une carapace au fil du temps ?
En
fait ni l’un ni l’autre. Etant maintenant père, je
n’ai jamais été aussi préoccupé par les problèmes
du monde qui nous entoure. Par contre, je ne pense pas
qu’il faille perdre son sang-froid, se laisser emporter
par tout ça , tourner sur soi-même comme une toupie et
finalement en rajouter inutilement. Au fond cette chanson,
c’est juste un rappel : "Ohé on est juste des
êtres humains, avec des besoins qui sont parfois plus
simples qu’on ne croit !"
L’histoire
de Paul dans la chanson du même nom, c’est la tienne ?
Celle de quelqu’un que tu connais ? Explique-nous.
Ce
personnage de Paul réunit
plusieurs traits de caractère de ma famille, qui
sont présents à des doses diverses chez les uns et les
autres… en particulier chez mon père.
Sur
cet album, l’électronique semble moins présente, en
tout cas elle s’entend moins que sur les précédent
albums (notamment le précédent La nuit éclaire le jour qui suit).
Tu voulais donner un côté plus pop à ton Petit Cosmonaute ?
Oui,
les squelettes des chansons sont électroniques et tout ce
qu’il y a par-dessus ne l’est pas. Je voulais faire
des chansons plus simples et plus
« classiques », ce qui dans mon
parcours revenait à de l’excentricité, car ça n’était
pas mon domaine habituel de recherche.
Ou
en es-tu avec tes projets électroniques ?
Je
travaille en ce moment sur le prochain Herri Kopter,
mais je ne sais pas si on peut parler d’électronique au
pied de la lettre, je travaille beaucoup le montage
et les ruptures sonores, les chocs entre les différentes
sources… Je me dirige vers quelque chose d’assez
baroque et difficile à nommer.
Tu
as fait une école de cinéma (l'INSAS, à Bruxelles), pendant 4 ans, tu as réalisé
des courts-métrages, puis tu as bossé au journal télévisé
de la RTBF. Ou en es-tu de ce côté là ? Est ce définitivement
le passé ou penses-tu travailler à nouveau dans le cinéma
ou la télé un jour ou l’autre... à moins que tu ne
l’ais déjà fait depuis...
J’ai d’abord retrouvé le cinéma par le biais
de la musique de film. Cette année on m’a proposé une
résidence vidéo à Québec, j’ai donc récemment passé
3 semaines à monter des « micro-documents »
pour Herri Kopter. J’ai eu beaucoup de plaisir à
faire ces petits films en dv et il se peut que le prochain
disque d'Herri Kopter soit en fait un dvd.
Fais-tu autre chose en dehors de la musique actuellement
?
Principalement être papa …
Comment vis-tu ton exil au Canada ? Penses-tu renter
en France un jour ou l’autre ?
Je me sens très bien au Québec, mais un contact régulier
avec mes origines est nécessaire.
J’aimerais pouvoir revenir au minimum une fois
par an. Avec la naissance de ma fille et la fin de mon
contrat avec Lithium, je ne suis pas venu pendant plus de
3 ans et j’ai trouvé ça vraiment difficile, on devient
nostalgique comme Ulysse.
Quel regard portes-tu sur la chanson française
actuelle depuis là-bas ? Y’a t-il des chanteurs
qui te touchent plus que d’autres ?
Celui qui me touche le plus c’est Alain Bashung,
ça fait longtemps qu’il est là et il vieillit comme un
bon vin. Sinon, nous recevons des nouvelles de France avec
souvent un peu de retard et certains gros succès français
n’arrivent même pas jusque chez nous.
Plus généralement, qu’est ce qui t’excite dans la
musique actuelle ? Quels sont les disques qui t’ont
marqué au cours de ces dernières années ?
Là dessus je n’ai pas
changé, mes goûts partent dans tous les sens.
Bizarrement, ce qui m’a le plus touché les derniers
temps c'est finalement des choses plus anciennes, c’est
des disques de swing et de guitare hawaïenne des années
30, Billie Holiday, Charlie Parker, JJ Cale, des vieux Eno,
Robert Wyatt, Brigitte Fontaine,Tom Waits, Paolo Conte...
Sinon dans des choses plus récentes : Mali Music et
le dernier Blur (je passe souvent les chansons punks qui
me touchent moins), Murcof, Daniel Lanois, Zongamin, les
Flaming Lips, les derniers de Thomas Fersen et Keren Ann …
Quels sont tes projets après la sortie de ce
troisième album ?
Travailler sur le nouveau Herri Kopter qui est un
projet drôle, critique, tordu et mégalo (donc assez éloigné
de Cosmonaute), venir vous voir de temps en temps
en Europe avec un disque ou un spectacle, continuer les
collaborations commencées avec d’autres artistes,
mettre du sucre ou de la confiture sur mes crêpes,
essayer d’être une bonne personne avec et pour les gens
qui comptent dans ma vie …
Propos
recueillis le 6 Juin 2003
Un
grand merci à Joyce Ghosn de Chronowax
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