musique

Camille - Le fil    

Virgin - 2005

 

 

 

    Voici l’excellente surprise du moment dans le domaine de la chanson française. Précédée d’une solide réputation (choriste de Murat, chanteuse de Nouvelle vague), d’un premier album qu’il va falloir désormais découvrir, bien tard (Le sac des filles) et d’une presse globalement très favorable (ce qui laisse souvent envisager le pire, ou la déception), Camille est venue se placer sur l’échiquier de la chanson de chez nous, mais voilà : elle n’en fait qu’à sa tête, et elle sort donc logiquement du lot.

C’est tellement rare qu’il faut le signaler : même l’étiquette "Artiste France Inter", trop souvent attribuée à du classicisme désolant, ne suffit pas à la paralyser… enfin un disque aventureux, papillonnant, original, abouti, frais, léger, délicat, drôle , attendrissant, et surtout musicalement hors-norme comparé à la production générale du pays (en matière de chanson, seulement).

 

    L’atout de Camille, c’est qu’elle ne se laisse pas noyer sous le poids (souvent imaginaire) des références locales. Même si elle se dit : « Tu crois avoir pied, tu coules », c’est pour ramener des trésors des profondeurs explorées. Voici donc enfin une chanteuse qui échappe à la variété (mais ça c’est si simple), qui n’est pas la nouvelle Françoise Hardy/Greco/Barbara du mois, qui ne susurre pas (systématiquement) ses plaies amoureuses, qui n’écrit pas des textes que l’on comprend trop bien avant même de les avoir entendus…non, décidément, ce qu’a fait là Camille nous sort de nos habitudes, surprend et finit par enchanter (en chanté ?) par ses malices. Non qu’elle rejette tout héritage : simplement elle sait ne pas singer, mais faire au contraire ce qui permet de continuer à écouter de la musique : refaire à sa façon, transformer, servir un autre plat au lieu du réchauffé si simple à confectionner…

 

    Alors on entend quoi chez elle ? d’abord évidemment cette note qui ne s’arrêtera jamais, fixe, obsédante, intrigante : celle qui nous fait nous demander si vraiment on change de chanson, si on ne tourne pas en rond, si finalement tout ce qu’elle nous dit là ne serait pas absolument lié, emboîté, se riant ainsi des genres et des frontières.

 

    Et puis on entend sa voix, espiègle, douce, braillarde, malaxée, triturée, secouée dans tous les sens, dans tous les sons, sa voix qui forme ses musiques, accompagnée de quelques claquements de mains, sa voix qui se fait échos, tremblements, cris, rires, résonances : Camille est partout dans ses chansons, dans ses morceaux, et miracle, ça ne sonne pas comme du Björk (malgré le respect…), car là où l’islandaise impressionne techniquement, mais fige trop ses chansons, Camille apporte un vrai souffle de vie dans les siennes, les ouvre en grand, et s’y amuse, s’y ébat, s’y ouvre, s’y emporte. Camille sautille et c’est cette fraîcheur qui emporte tout sur son passage.

 

    Des instruments il en sera peu question, puisque sa voix s’occupe de presque tout. Quelques guitares sèches, du piano, cela devient secondaire : cela la masquerait presque, mais heureusement elle « chante nue ». Par contre, c’est la variété des styles « musicaux » qui à nouveau provoque l’admiration : quitte à s’amuser, elle a décidé d’utiliser plusieurs jouets : et de nous aligner presque naturellement de la douceur et du r’n'b ( !), des cris et des larmes, des mots doux puis des jeux de mots (d’où ??), à la Bobby Lapointe (et trois fois s’il vous plaît), des ballades et du doo-wop, tout y passera, tout passera…

 

    Restent enfin ses mots, parce que mademoiselle sait en plus écrire : et d’emblée elle se range aux côtés de celles et ceux qui estiment qu’il n’est pas inutile de s’appliquer là aussi : ses mots s’entrechoquent de manière imprévue, ses textes sont mystérieux, ne se donnent pas immédiatement, s’entourent de brume et finissent eux aussi par nous laisser stupéfait : jusqu’où jouera-t-elle avec nous ?  Alors il paraît qu’il y a un fil directeur, qu’on pourra y trouver beaucoup sur elle, mais, autre miracle dans un domaine où les textes sont souvent d’une insignifiance décevante, Camille évoque sans être directe, joue de la métaphore pour mieux brouiller les pistes, perturbe en fait nos habitudes. A nous désormais de trouver un fil et de le suivre, elle est déjà partie bien loin avec ses souffles et ses cris, ses piaillements et ses borborygmes, ses douleurs murmurées et ses sentiments hurlés…

 

Matthieu Jaubert

 

Tracklist :  

La jeune fille aux cheveux blancs

Ta douleur

Assise

Janine I

Vous

Babi Carni bird

Pour que l’amour me quitte

Janine II

Vertige

Senza

Au port

Janine III

Pâle septembre

Rue de Ménilmontant

Quand je marche

 

Durée :71’33

Date de sortie :Février 2005

 

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