On
l’avoue sans détour : on avait un préjugé
concernant Jeanne
Cherhal. Sans doute parce qu’elle a émergé
d’un lot d’artistes qui sont devenus, entre
proclamation et auto-proclamation,
la Nouvelle
Scène
Française. Sans doute parce qu’on l’imaginait en
quelque clone féminine de son compagnon de label Vincent
Delerm. On se disait qu’elle était un pur produit
de la quadrilogie
Bénabar-Clarika-Delerm-Bruni. Sans doute parce
qu’on l’a croisée aux Défaites de la musique en
2005, dans la catégorie artiste révélation du public,
aux côtés de mettons, Calogero
et Nadiyâ
pour souligner les pires.
Sans doute parce que son premier album égrainait
des thématiques très personnelles et un peu triviales,
mais si charmantes, que nous déroule généralement
cette scène française justement. On y parlait
d’amour, de voisins, de son ressenti, d’étudiants andouilles,
de l’eau qui mouille etc.
L’eau
qui mouille… tiens justement c’est le titre de ce
second album, pour lequel on reconnaît être
globalement revenu sur notre sévère appréciation.
Parce que Jeanne
Cherhal s’y affranchit pour une part (pas tout
entier mais presque) de la futilité du texte, et de la
quotidianité de l’inspiration. Jeanne Cherhal s’y montre plus femme, sensuelle malgré le cheveu
court, charmeuse, érotisée, liquide. Elle évoque le
feu qui ronge la chair et celui qui brûle la peau, elle
évoque les humidités du lavabo, du baiser ou de la
tendre étreinte érotique. Même que des fois, on se
dit que si ces paroles avaient été écrites par un
homme, on est à peu près sûr qu’on en aurait trouvé
qui auraient crié au scandale de ce qui eût été
considéré comme un viol verbal de l’intimité féminine.
Cherhal y évoque
les doutes, les craintes, la fragilité, la force de la
femme qu’elle s’efforce d’être. Elle détourne la
forme qui fut jadis celle des CD pour bobos en des poésies
prosaïques de l’égo et de la femme. Partant du
particulier en visant, et atteignant –c’est la
grande force de cet album- la généralité. C’est
d’ailleurs par ce biais de l’appréciation de
l’essence féminine, et d’un certain ressenti, que Cherhal
arrive à faire mouche quand elle se pique d’aller dénoncer
l’excision, en des termes qui font évidemment frémir
les femmes et qui donne envie aux hommes de
l’assistance de prendre la chanteuse dans ses bras,
pour la consoler, la soigner, s’excuser. C’est aussi
ce même principe qui parvient à ne pas attiser les
querelles de religion,
quand elle évoque le voile qu’on porte, de
l’autre côté de
la Méditerranée
pour camoufler la féminité. Toujours partir du
particulier, du ressenti, du palpable, pour atteindre la
généralité. Et parfois y arriver.
Musicalement
aussi, l’album surprend. Partant du piano comme quasi
unique complice, il devient ici arrangement de prestige
pour servir une musique servie moins brute, plus léchée,
plus aguerrie et de fait plus mûre. On sent que
l’interprète s’est évertuée, en studio avec le
complice Albin de
la Simone
, à dupliquer la formule liquide des paroles et de
l’artwork. Les arrangements se déroulent comme autant
de lits où se couchent les amants, où se lovent les
rivières de mots. Plus de protagonistes sonores, plus
maîtrisée, plus ample, plus lisse sans doute aussi ;
mais cet arrondissement du son semble carrément en adéquation
avec la métaphore de l’album et semble cacher une
force retenue. On en redemande, d’autant que Cherhal
en profite pour élargir le spectre des possibles
musicaux. Pop, presque rock, presque Tori
Amos, ou Fiona
Apple mais en version française. Fondamentalement
français d’ailleurs, mais ici
pas entièrement caricatural. Et jamais, jamais,
ni Marie-Paule Belle ni Bénabar.
Réussi. Et prouvant du coup que l’année musicale
2006 dans l’hexagone est essentiellement un histoire
de réussites fémines.
Denis
Verloes
Tracklist
01.
Canicule
02. Je suis liquide
03. Rondes larmes
04. Voilà
05. Le tissu
06. La peau sur les os
07. Tu m’attires
08. Frédéric
09. L’eau
10. On dirait que c’est normal
11. Une tonne
12. Merci
13. Petite soupe
Durée :
45’
20
Date
de sortie : 23 octobre 2006
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