Ca
fait plus de 10 ans et 8 albums que ça dure mais
rien n’y fait, pas même les chefs d’œuvre
alignés aussi implacablement que les moutons dans
un pré gallois : le monde se fout royalement
de Gorky’s Zygotic Mynci. Et eux n’ont
pas l’air de lui en tenir rigueur, qui
continuent à jouer pour leur simple plaisir et
pour leurs quelques fidèles fans, et qui sortent
leur meilleur album depuis le dernier et
jusqu’au prochain. Soit du folk-pop rural
anglais et incroyablement naïf, mâtiné d’un
psychédélisme ludique et tranquille.
Pour
ceux qui en seraient restés à la pop excentrique
de Barafundle ou Patio Song :
l’esprit est toujours le même mais on est désormais
assez loin de ces premiers enregistrements barrés,
quand ils n’avaient pas peur de fondre 3
chansons en une et apparaissaient volontiers
habillés comme des druides sur les photos de
presse.
Plus
le temps passe, et plus leur musique s’adoucit,
même si on a droit à une jolie poussée de fièvre
sur Mow the Lawn, qui dit exactement ce
qu’il veut dire (tonds la pelouse !). Plus
le temps passe et plus les Gorky semblent
seuls au monde. Plus ils sont seuls au monde, plus
leur musique est belle, fondamentalement belle :
c’est tout bête mais on ne trouve pas d’autre
mot pour définir cette musique simple et pure,
qui ne connaît ni calcul, ni distance.
On
entend ici à n’en pas douter ce qui se jouait
dans le Village Green imaginé par Ray
Davies, à ceci près que Daisy n’épouse
plus le fils de l’épicier, et que Walter reste
pour toujours l’ami qui fumait des cigarettes
derrière le préau de l’école. GZM joue la
bande-son d’une campagne idéalisée, d’une
perfection pastorale tout droit sortie des romans
de Thomas Hardy (la douleur en moins) :
ici les filles vous terrassent de leurs simples Eyes
of Green, Green, Green, et on n’aspire qu’à
une chose, contempler la lumière du jour sur le
rivage désert et se retrouver entre amis autour
d’un air antédiluvien.
Pas
de méprise pourtant : aucune tentation
folklorique ou traditionaliste ici (ils ne
chantent d’ailleurs plus en Gallois depuis 2
albums), aucuns clichés hippie sentant le
patchouli, Gorky’s Zygotic Mynci est un
groupe pop entiché de folk. Ils sont cette
formation rêvée par tous les amateurs de
chansons dignes de ce nom, capable de vous envoyer
dans les étoiles et de vous faire sangloter en même
temps, sur une seule mélodie ou harmonie. Il se dégage
de leurs disques une chaleur, une joie et une mélancolie
extrêmes auxquelles rien que ce que nous
connaissons sur la scène musicale actuelle ne
nous habitue plus. Ils semblent être en quête de
toujours plus de pureté, tant dans
l’instrumentation utilisée que dans les
sentiments évoqués (Happiness, absolument
déchirant).
La
fin de l’album quitte d’ailleurs quelque peu
les rivages de leur propre influence et confine
quasiment à l’abstraction : ce Pretty
as a Bee de 9 minutes construit patiemment une
extase planante qui n’aurait pas dépareillé
sur Dark Side of the Moon. Et lorsque Red
Rocks s’achève timidement, on sait qu’il
nous faudra attendre leur prochain album pour à
nouveau entendre un recueil de chansons d’un tel
niveau.
Laurent
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