Bed
- Spacebox
Ici
d'ailleurs / Wagram - 2003
Il y a un peu plus de deux ans, Benoît
Burello, Rennais d’adoption, publiait sous le nom
de Bed, un album intimiste mais beau : The
newton Plum. Nombreux sont les "musicophiles",
à tendance sombre et ténébreuse, à avoir adoubé cet
album indispensable à la panoplie du désespéré mais
gai. On a glosé abondamment, à l’époque, la
filiation du musicien avec les maîtres ès tristesse et
noirceur que sont Mark Hollis et Robert
Wyatt. Voilà pour les références, et la notoriété
du groupe Bed. Si tant est qu’il en ait
besoin.
Tranquillité, sobriété, tristesse,
sont les trois mots qui viennent à l’esprit pour
caractériser le nouvel opus du groupe. Le pire affront
que l’on pourrait faire à Spacebox serait de
le comparer à son prédécesseur : on lui
trouverait, comme chaque fois qu’on se plie à cet
exercice, des faiblesses et un manque d’intensité
relative. Ce serait sans doute une erreur. Car celui qui
découvre Bed par le biais de Spacebox, ne
sera pas déçu. Les autres feraient mieux de le réécouter
comme s’il s’agissait du coup d’essai du groupe ;
tant ce disque s’impose à l’auditeur écoute après
écoute. Titre après titre, insidieusement.
Spacebox entame son entreprise de
séduction de l’auditeur par une voix : celle
de Benoît Burello. Au risque de paraître
iconoclaste, on n’hésitera pas à se rappeler que David
Gilmour, période A momentary lapse of
reason a poussé les mélopées de cette triste façon.
Avec une telle conviction, limitée pourtant par les
organes de la parole. La voix anglaise, poussée parfois
dans ses retranchements (et cette réflexion prend tout
son sens sur scène), mène l’auditeur vers un monde
de mélancolie mêlée de douceur. Bed peint une toile où
l’on se reconnaît en passager d’un train sinuant
dans les plaines de Beauce ou d’une Flandre au ciel
bas. On s’imagine parcourant le chemin sur les rails
de Spacebox, sous le pinceau de Bed.
En prenant un peu de recul, face au
tableau, on repère à la fois la tristesse et la majesté
des lieux traversés par le petit convoi. On se sent
touts petits et presque rassurés de n’être
finalement que spectateurs de la scène. On se rend
compte aussi du degré de technicité du peintre au
service de sa toile.
En multi-instrumentiste averti, Burello a
compris comment peindre un tableau romantique efficace.
La guitare sert le propos, langoureuse et caressante
comme le souvenir d’une gifle ou de la fin
d’une relation amoureuse. Bed nous rend tout à
la fois tristes et réconfortés d’être pris par la
main, par un ami de longue date qui nous rappelle
que tout ça, finalement, n’est pas si grave.
Un gimmick par-ci, un ton enjoué par-là. Ou un
plongeon dans une tâche d’encre de Chine : sans
exagération, presque en pointillé. La basse amie et
omniprésente. Serait-ce abuser que de la comparer à
l’efficacité des premiers essais de Cure
version Seventeen
seconds, donne un petit cours d’à propos,
tant on ressent sa présence en petites touches, par son
rappel omniprésent. Elle donne de la profondeur au
propos ; elle grise un peu plus le ciel dépeint
par Benoît Burello mais, par sa formation,
qu’on sent empruntée au jazz ou au free-jazz, elle
sait comment ne pas exagérer pour ne pas devenir
caricaturale ou grandiloquente. Elle forme avec une
batterie nourrie aux mêmes sources, omniprésente et
douce, un duo de choristes impeccables, écrin aussi
improbables que perforants aux mélodies du chanteur,
aux talents de l’artiste.
Que dire de plus, sinon que la toile
signée Bed devrait trouver une cote à sa mesure
sur le marché de l’art musical. Un auteur un brin
surestimé, sans doute, mais que la patine du temps
devrait progressivement estimer à sa juste valeur. Et
de Spacebox ? Le genre d’œuvre auquel on
revient à différents moments de sa vie. De ces
tableaux qui évoquent des souvenirs tendres, de ces
toiles sonores qu’on écoute autant avec les oreilles
qu’avec le cœur. Une écoute forcément personnelle,
mélange d’attraction et de répulsion,
d’admiration et d’analyse technique.
Denis
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