André
Blanchard
vit à Vesoul où il exerce la profession de gardien
dans une galerie d’art contemporain. Curieusement
c’est également un écrivain. C’est un type un
peu compliqué qui, volontairement ou pas, prend
plaisir à vouloir se gâcher, ne semblant pas faire
le moindre effort, la moindre concession que ce soit
pour vivre de sa plume même un petit peu.
D’ailleurs, il parvient tellement à demeurer dans
son coin et maussade, qu’il a beaucoup de mal à
être publier ce bonhomme là ! Le trouver dans le
commerce (avant son renflouage par le Dilettante)
a tout de la pêche vaine tant il y a de poissons
mornes, nageoires ouvertes, étalés mollement sur
les tables de nos libraires.
André
Blanchard est ici où là souvent comparé à Paul
Léautaud, mais plus qu’un journal il tient
lui des carnets expurgés du raz de l’intime. En
fait, il tâche d’oublier les journées en leur
substituant de quoi exister sans avoir à les vivre.
Voilà donc moult considérations consignées : sur
les hommes, le monde moderne, plus que sa femme ;
son chat et surtout la littérature…
Pour
que les choses soient clairs André Blanchard est
quand même assez réac, sans trop de courroux tant
il n’est candidat à rien, on bondit souvent intérieurement
à sa lecture. C’est également derrière son coté
Cioran de Vesoul affligé, un grand lecteur
mais sceptique et rencogné, avec une vision de la
littérature bloquée dans l’entre deux guerres.
La période à beau être d’une richesse indéniable,
de Proust à Mauriac en pensant par L.F. Céline il
y a bien de la matière à triturer encore un peu,
mais enfin, au bout d’un moment on se demande bien
comment les affres de la modernité ont réussies à
passer aussi haut au-dessus de la tête d’André
Blanchard. Un peu comme les vilains taggeurs qui, on
se demande bien comment, eux parviennent à saloper
les vieilles pierres de Vesoul. Bon, donc quand il
parle de Mauriac ou de Céline, il est parfois futé,
il a par exemple bien raison de prétendre que tout
Céline est déjà dans Le Voyage... tout Céline,
et même la saloperie : « Tout est dit dès le départ
et les pamphlets ne sont que sous parties en
quelques sorte inexcusables en ceci : être passés
du général au particulier, ce qui est le mécanisme
de la délation. » Pour le contemporain et dès que
l’on ressort des « golden thirties »,
manque de pot l’oulipo c’est pas son truc,
c’est un dézingage en règle ; réjouissant quand
il s’attaque à des cibles qui ne demandent qu’à
être visées, Sollers, Bobin, Delerm
père et fils, un peu plus problématique quand il
s’attaque à François Bon (Qui n’est pas Bon)
ou Pierre Michon, honnête quand il évoque Thierry
Metz et chutant gauchement dans un précipice
d’incompréhension quand il entend feu Christophe
Tarkos à la radio.
Ben
voilà notre contrarié ami se trompe car le nœud
du truc est bien là ! Ce qui fait qu’il y a de la
littérature (ou de la poésie) c’est bien cette
histoire avec la langue aussi, et le Tarkos est bien
une langue dans sa singularité même. Loin du
moderne vieillot à concept en plastique, on ne
demande à personne d’autre de la parler cette
langue, même pas de la décrypter vraiment, mais de
se laisser prendre par sa musique, oui. D’ailleurs
ce qui fait la saveur et le prix de son livre André
Blanchard le sait bien, c’est sa langue à lui :
le Blanchard, cette voix un peu hors de mode et dans
son monde, délicieuse de désuétude parfois, avec
ces petits ressacs de phrases courtes qui
interpellent façon mains en l’air. Bon voilà
sachez quand même que Blanchard dézingue mais
jamais avec méchanceté et mesquinerie, et puis son
coté ratiocineur un peu à coté attaquant le
moderne n’est pas si désagréable que ça à la
longue. D’ailleurs en parlant de moderne et le
sourire en coin on imagine, la confrontation ou plutôt
le choc frontal de ce type refermé, fulminant
dedans, avec le supposé public d’une galerie
d’art contemporain : croquignolet carambolage
entre le chicaneur chafouin et un casuel
rassemblement de quidam à forte propension :
comment dirai-je c’est invraisemblable ma chère
comment l’âme s’exprime pleinement dans cette
installation à base de pots de yaourts triturés !
Philippe
Louche
Date
de parution : février
2007
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