roman

Didier Duprat - Dernières nouvelles des oubliés  

Arléa - 2004

 

 

 

    Il y a quelques années, Martin Winckler avait connu un énorme succès critique et public en nous racontant les affres et les tourments de la vie professionnelle et privée du docteur Sachs, ce toubib de campagne peu conventionnel à l’écoute des maux de ses patients. Celui-ci semblait tous les absorber comme une éponge et il avait dès lors sur le monde un regard à la fois tendre et ironique, empathique et cruel.

 

    Aujourd’hui, bonne nouvelle : le docteur Sachs s’est trouvé comme un fils, un neveu dans le héros du premier livre de Didier Duprat. Celui-ci est surveillant de nuit dans des refuges de solitude comme des orphelinats, des foyers maternels où se côtoient des infirmes cérébraux, des sans domicile fixe, des enfants abandonnés ou encore des femmes à la dérive. Toute la lie, toute la misère du monde, comme on pourrait facilement le croire et croire par là-même que nous nous trouvons face à un livre miséricordieux fait de plaintes et de lamentations. Il n’en est rien car ce serait justement sans compter sur cet extraordinaire surveillant ouvert et réceptif aux soucis, aux petits et grands malheurs des autres.

Ce livre d’une centaine de pages se découpe en fragments : trente-quatre au total qui nous plongent sur quelques pages au cœur de vies brisées, soudain ravagées par des morts, des crimes, des viols ou d’autres sévices. A cet égard, le livre de Didier Duprat m’a fait penser par sa forme à un roman constitué de courts récits de Régis Jauffret : Fragments de la vie des gens.

Ici, l’écriture est simple. Les phrases sont plutôt courtes et évoquent presque une narration d’écolier. Didier Duprat est l’observateur et le dépositaire de toutes ces vies à qui il offre souvent juste une écoute attentive. Dès lors il noue des relations étroites et parfois confiantes avec ces êtres écorchés, déracinés rendus muets ou sauvages. L’auteur n’a évidemment aucune volonté de voyeurisme, ni de misérabilisme. Sa force provient bien du partage et de la compassion au sens étymologique du terme. Il n’a pas choisi un travail de nuit par hasard ; dans cet espace temps propice à la solitude, aux résurgences des souffrances à travers les rêves, il sait la fragilité et le besoin d’écoute. Son exutoire à lui passe par le remplissage sans fin de petits carnets le long de ses nuits solitaires, matrice logique de ce qu’est aujourd’hui Dernières nouvelles des oubliés.

 

    Un premier roman bouleversant. Parce qu’il évoque la vie des « oubliés », donc des exclus et des handicapés de la vie et qu’à travers ses mots presque banals, mais avant tout sincères et ressentis, l’auteur parvient à y insuffler une véritable et palpable humanité.

Il n’est pas besoin que le livre soit plus long, que les histoires se multiplient. Sa force ne réside surtout pas dans l’établissement froid et distant d’une liste de tares ou de misères. On peut penser qu’en dix ans de métier – oserait-on écrire de sacerdoce ? – Didier Duprat a dû connaître bien d’autres histoires. Peu importe, son bonheur à écouter les autres, à leur offrir un peu de son temps est intact et transparaît forcément à travers ces belles et simples pages. Et c’est bien cela qui touche durablement le lecteur, consacrant au passage Didier Duprat comme un auteur à part entière.

 

Patrick