Il y a quelques années,
Martin Winckler avait connu un énorme succès
critique et public en nous racontant les affres et
les tourments de la vie professionnelle et privée
du docteur Sachs, ce toubib de campagne peu
conventionnel à l’écoute des maux de ses
patients. Celui-ci semblait tous les absorber comme
une éponge et il avait dès lors sur le monde un
regard à la fois tendre et ironique, empathique et
cruel.
Aujourd’hui, bonne nouvelle : le docteur
Sachs s’est trouvé comme un fils, un neveu dans
le héros du premier livre de Didier Duprat.
Celui-ci est surveillant de nuit dans des refuges de
solitude comme des orphelinats, des foyers maternels
où se côtoient des infirmes cérébraux, des sans
domicile fixe, des enfants abandonnés ou encore des
femmes à la dérive. Toute la lie, toute la misère
du monde, comme on pourrait facilement le croire et
croire par là-même que nous nous trouvons face à
un livre miséricordieux fait de plaintes et de
lamentations. Il n’en est rien car ce serait
justement sans compter sur cet extraordinaire
surveillant ouvert et réceptif aux soucis, aux
petits et grands malheurs des autres.
Ce
livre d’une centaine de pages se découpe en
fragments : trente-quatre au total qui nous
plongent sur quelques pages au cœur de vies brisées,
soudain ravagées par des morts, des crimes, des
viols ou d’autres sévices. A cet égard, le livre
de Didier Duprat m’a fait penser par sa
forme à un roman constitué de courts récits de Régis
Jauffret : Fragments de la vie des gens.
Ici,
l’écriture est simple. Les phrases sont plutôt
courtes et évoquent presque une narration d’écolier.
Didier Duprat est l’observateur et le dépositaire
de toutes ces vies à qui il offre souvent juste une
écoute attentive. Dès lors il noue des relations
étroites et parfois confiantes avec ces êtres écorchés,
déracinés rendus muets ou sauvages. L’auteur
n’a évidemment aucune volonté de voyeurisme, ni
de misérabilisme. Sa force provient bien du partage
et de la compassion au sens étymologique du terme.
Il n’a pas choisi un travail de nuit par hasard ;
dans cet espace temps propice à la solitude, aux résurgences
des souffrances à travers les rêves, il sait la
fragilité et le besoin d’écoute. Son exutoire à
lui passe par le remplissage sans fin de petits
carnets le long de ses nuits solitaires, matrice
logique de ce qu’est aujourd’hui Dernières
nouvelles des oubliés.
Un premier roman bouleversant. Parce qu’il évoque
la vie des « oubliés », donc des
exclus et des handicapés de la vie et qu’à
travers ses mots presque banals, mais avant tout
sincères et ressentis, l’auteur parvient à y
insuffler une véritable et palpable humanité.
Il
n’est pas besoin que le livre soit plus long, que
les histoires se multiplient. Sa force ne réside
surtout pas dans l’établissement froid et distant
d’une liste de tares ou de misères. On peut
penser qu’en dix ans de métier – oserait-on écrire
de sacerdoce ? – Didier Duprat a dû
connaître bien d’autres histoires. Peu importe,
son bonheur à écouter les autres, à leur offrir
un peu de son temps est intact et transparaît forcément
à travers ces belles et simples pages. Et c’est
bien cela qui touche durablement le lecteur,
consacrant au passage Didier Duprat comme un
auteur à part entière.
Patrick
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