roman

Amy Fusselman - Journal de Bord 

Éditions Les allusifs  - 96p, 9.50€

[3.5]

 

    Questions de reproduction : un sujet littéralement vital pour l’avenir de l’humanité (on se rapportera vite à La possibilité d’une île de Michel Houellebecq) qu’il ne faut surtout pas réduire ni abandonner au seul champs biaisé des pages société des magazine féminins. Le risque existe pourtant, les hommes laissant volontiers la matière aux femmes, tôt ou tard pressées d’incarnation maternelle.

 

    La désertion masculine peut surprendre car nous sommes au cœur du sujet primordial entre tous, fluctuant aux limites de la vie et de la mort, enjeu de pouvoirs considérables, au niveau financier – le seul encore capable de mobiliser quelques énergies – notamment. Voilà pourtant qui fait encore l’affaire des femmes, libres d’évoluer en princesses pour contes de fées, qu’importe le mensonge pourvu qu’on ait l’ivresse.

 

    On se souvient cependant des premières lignes du Femmes de Philippe Sollers – « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde ment » - qui en 1983 déjà annonçaient la couleur. Même logique chez Amy Fusselman (quoiqu’avec une variante familialiste d’origine sans doute américaine). Ce qu’elle montre bien, c’est le renversement des données de départ auquel, en mode positivoptimiste, la vérité officielle a procédé : la mort viendrait y chercher les vieux, la vie s’incarner dans les femmes. A partir de l’agonie de son père et de ses tentatives désespérées pour être enfin enceinte – deux temps chronologiquement séparés mais réunis dans un seul présent, celui de la fiction – elle déplace peu à peu les perspectives, laissant entrevoir cette logique fondamentale de la mort comme vie qui sort (« il expulse sa force vitale » note-t-elle) et de la vie qui entre (fécondation) comme mort programmée.

 

    Insémination artificielle : « Ils utilisent un piston rattaché à une longue pipette et ils enfoncent la pipette dans le col de l’utérus, jusque dans votre utérus, et puis ils appuient sur le piston », soit la mise en œuvre d’un procédé technique pour mode de reproduction, première étape (il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête) d’une lente évolution devant mener à terme à la création d’êtres humains hors les hommes, et les femmes. L’hideux vocabulaire de la technique se presse à la porte – « monitorage des follicules », « sonde échographique », « citrate de clomifène », « injection de hCG », « Gel de transmission ultra-sonique Graham-Field », etc.. A l’intérieur même de ce petit livre, il (le vocabulaire) fait au fond le tri entre ce qui vit encore – notations multiples d’instants particuliers de la vie de la narratrice et de son père, à travers le journal de bord qu’il tenait à 20 ans –et tout ce qui déjà, d’une manière ou d’une autre, relève du devenir technologique de l’espèce humaine.

 

    Le bouleversement annoncé porte en lui un rêve secret, celui d’anéantir enfin le désir, de réduire le monde à une immense organisation sous contrôle, planifiée jusqu’au moindre détail ; instaurer en somme, avec une froideur mécanique, le règne de la mort au centre de la vie.

 

Christophe Malléjac

 

Date de parution : 8 août 2005

 

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