Questions
de reproduction : un sujet littéralement vital pour
l’avenir de l’humanité (on se rapportera vite
à La
possibilité d’une île de Michel
Houellebecq) qu’il ne faut surtout pas réduire
ni abandonner au seul champs biaisé des pages société
des magazine féminins. Le risque existe pourtant,
les hommes laissant volontiers la matière aux
femmes, tôt ou tard pressées d’incarnation
maternelle.
La désertion masculine peut surprendre car nous sommes au
cœur du sujet primordial entre tous, fluctuant aux
limites de la vie et de la mort, enjeu de pouvoirs
considérables, au niveau financier – le seul
encore capable de mobiliser quelques énergies –
notamment. Voilà pourtant qui fait encore
l’affaire des femmes, libres d’évoluer en
princesses pour contes de fées, qu’importe le
mensonge pourvu qu’on ait l’ivresse.
On se souvient cependant des premières lignes du Femmes
de Philippe Sollers – « Le monde appartient aux femmes.
C’est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde
ment » - qui en 1983 déjà annonçaient la
couleur. Même logique chez Amy
Fusselman (quoiqu’avec une variante familialiste
d’origine sans doute américaine). Ce qu’elle
montre bien, c’est le renversement des données de
départ auquel, en mode positivoptimiste,
la vérité officielle a procédé : la mort
viendrait y chercher les vieux, la vie s’incarner
dans les femmes. A partir de l’agonie de son père
et de ses tentatives désespérées pour être enfin
enceinte – deux temps chronologiquement séparés
mais réunis dans un seul présent, celui de la
fiction – elle déplace peu à peu les
perspectives, laissant entrevoir cette logique
fondamentale de la mort comme vie
qui sort (« il expulse sa force vitale »
note-t-elle) et de la vie qui entre (fécondation)
comme mort
programmée.
Insémination artificielle : « Ils utilisent un
piston rattaché à une longue pipette et ils
enfoncent la pipette dans le col de l’utérus,
jusque dans votre utérus, et puis ils appuient sur
le piston », soit la mise en œuvre d’un
procédé technique pour mode de reproduction, première
étape (il n’y a aucune raison pour que cela
s’arrête) d’une lente évolution devant mener
à terme à la création d’êtres humains hors les
hommes, et les femmes. L’hideux vocabulaire de la
technique se presse à la porte – « monitorage
des follicules », « sonde échographique »,
« citrate de clomifène », « injection
de hCG », « Gel de transmission
ultra-sonique Graham-Field », etc.. A l’intérieur
même de ce petit livre, il (le vocabulaire) fait au
fond le tri entre ce qui vit encore – notations
multiples d’instants particuliers de la vie de la
narratrice et de son père, à travers le journal de
bord qu’il tenait à 20 ans –et tout ce qui déjà,
d’une manière ou d’une autre, relève du
devenir technologique de l’espèce humaine.
Le bouleversement annoncé porte en lui un rêve secret,
celui d’anéantir enfin le désir, de réduire le
monde à une immense organisation sous contrôle,
planifiée jusqu’au moindre détail ;
instaurer en somme, avec une froideur mécanique, le
règne de la mort au centre de la vie.
Christophe Malléjac
Date de
parution : 8 août 2005
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