Auteur
d’un roman et de quatre recueils de nouvelles dont
le dernier, Douze mètres cubes de littérature,
a obtenu en 2003 la prix Prométhée de la nouvelle,
Roland Fuentès offre avec La double mémoire
de David Hoog un court roman de 123 pages proche
de la veine fantastique.
Du « Hollandais volant » et de nombre de
récits de ce genre, l’auteur emprunte le motif de
l’embarcation échouée de laquelle a disparu
toute trace d’équipage et de passagers. Du
« Manuscrit trouvé dans une bouteille »
de Poe, il retient celui du message
d’outre-tombe, ici plié dans une enveloppe elle-même
logée dans une mystérieuse boîte de fer blanc
exhalant, à la façon d’un organisme vivant,
bruissements et soupirs. De même que Pandore,
soulevant le couvercle de la boîte mythique, avait
laissé s’échapper les maux, crimes et chagrins
qui devaient s’abattre sur l’humanité, de même
David Hoog, ouvrant boîte et enveloppe, va-t-il libérer
l’esprit maléfique d’un défunt soucieux de réincarnation
et dont le nom, Wolf (loup), en dit long sur ses appétits.
Devenu en quelque sorte loup-garou, c’est-à-dire
littéralement homme-loup, David Hoog se voit livré
aux assauts d’une mémoire nouvelle, d’une mémoire
duelle, c’est-à-dire double – comme les deux o
de son nom –et hostile, et métamorphosé en
« gestionnaire d’un souvenir en perpétuel
mouvement ». On pense ici bien entendu au
« Horla » de Maupassant,
ainsi qu’à « La Métamorphose »
de Kafka, nouvelle à laquelle l’exergue du
roman emprunte son incipit.
Métamorphose, dédoublement, aliénation,
possession par pénétration ou engloutissement (la
récurrence de la métaphore sexuelle, avec son cortège
d’ « orifices », louche
dangereusement vers le cliché), la thématique ne
saurait cependant assurer à elle seule le succès
du parti-pris fantastique. Font en effet cruellement
défaut dans le roman les indices de cette inquiétante
étrangeté symptomatique du genre et définie par
Freud comme « cette variété particulière de
l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu,
depuis longtemps familier ». Manipulés par un
narrateur omniscient davantage que par la haine
d’un esprit xénophobe, les personnages (à
l’exception peut-être de Bobô, l’ami du
protagoniste) font figure de silhouettes stylisées
s’acquittant consciencieusement du rôle qui leur
a été imparti. Nulle hésitation, nul vacillement
dans ce récit linéaire où les points de repère
abondent, où tout est dit, nommé, énoncé, annoncé
sans que le doute ou le vertige s’empare à aucun
moment du lecteur.
Participe notamment de cette « rassurante
familiarité » l’usage immodéré du stéréotype.
Nécessairement mystérieuse, Jeanne, l’alter ego
féminin de David Hoog, apparaît ainsi aux yeux de
celui-ci, et à ceux du lecteur, comme une « silhouette »,
puis comme une « ombre » n’ayant rien
à envier aux masques et bergamasques verlainiens.
Ailleurs, alors que l’élément liquide pourrait
donner lieu à une intéressante exploitation littéraire
avec le côtoiement des eaux croupissantes des
chantiers navals désaffectés et de celles,
immobiles et silencieuses, des grands fonds marins,
on regrettera que le regard de cette même Jeanne ne
retienne des derniers que leur caractère « sombre »
et « insondable », qui « engloutit »
David Hoog et Bobô. En dépit de cette topographie
marine, le lecteur, lui, reste inexorablement arrimé
à la terre ferme.
Davantage qu’à un fantastique renonçant à
revisiter sa thématique et son esthétique, c’est
plutôt à la fable morale que me semble
s’apparenter La double mémoire de David Hoog.
En ce
sens, David Hoog, Jeanne, Bobô et consorts seraient
plus proches de symboles, voire d’allégories, que
de personnages proprement dits. Familier, sinon des
cimes, du moins des falaises, David Hoog, ainsi que
le suggère son nom qui, en hollandais, signifie
« haut », est un être d’altitude.
Plongeur, il devra s’immerger dans les eaux
profondes de la haine que tente d’insuffler en lui
l’esprit xénophobe de Wolf, et se mesurer à
elles. C’est du reste sur cette activité de plongée
que s’ouvre et se clôt le récit, que je suis
tentée de lire comme un roman d’initiation ésotérico-politico-mystique,
comme une « expérience par les gouffres »
dont le coût (14 €), évalué en kilogrammes plutôt
qu’en mètres cubes, est peut-être surévalué.
Catherine
H.
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