Il y a une mythologie spontanée de la nature chez Fabienne
Juhel, une manière lyrique et pointue de
dresser un hymne à la végétation et ses secrets
mais sans lourdeur, sans écologisme primaire, avec
la justesse familière et crue d’un regard
d’enfant.
Le jardin est au fond
le lieu où la civilisation s’arrête. Même
apprivoisé, élaboré, entretenu, il conserve ses
mystères, sa réglementation personnelle, sa
logique et ses insondables surprises. Le cadre idéal
en somme au déploiement sauvage de l’imaginaire
d’une petite fille, dont l’énergie brute
rejoint l’oxygénation maximale de cette zone
libre.
Du trio cosmopolite et
malgré tout complémentaire qui l’entoure – sa
mère amoureuse et absente ; son alliée
Teresa, la bonne mexicaine ; le bûcheron
qu’elle surnomme « l’indien » - seul
l’homme semble en mesure d’atteindre cette même
dimension, de croire en la puissance potentielle des
rêves. Concrètement, le voilà dans ses tenues
mythologiques : « Il
était nu, ce géant aux fesses dures et galbées
comme des cuisses de femmes. Il était nu et
indestructible. Beau comme un dieu souterrain,
remonté des entrailles de la terre, pour fusionner
avec son égal
et son mortel, l’arbre au corps fraternel. Il était
nu et puissant. Le dos tendu comme une voile, entre
les câbles de ses bras, à la verticale du tronc.
Un Jésus-Christ retourné. Nu comme un homme qui
viendrait de naître, taillé pour la course, la
chasse et l’amour ».
Son
corps à elle, aussi, s’est abreuvé à la chair
de l’arbre.
Il ne faut sans doute
pas croire tout ce que disent les petites filles,
non pas qu’elles inventent
des histoires mais celles-ci nous sont inaccessibles
de prime abord car relevant plutôt du domaine
majestueux de la transfiguration, nécessaire et
salvatrice. La fillette solitaire n’est pas, à
rebours des apparences, une mythomane. Au contraire :
se saisissant de la réalité, elle use de son
regard comme d’un filtre pour l’envelopper de
l’étoffe poétique, qui gagne sur le temps. Homère
ne faisait pas autre chose.
Pas de babillages, pas
d’enfantillages : Fabienne
Juhel offre par son écriture riche et précise
une voix claire et juste à cet « écureuil d’automne, lapin sale d’hiver, fauvette du printemps et
abeille d’été ». Pas de pathos non
plus : dans ce premier roman maîtrisé, la vie
brute tranche d’un coup sec et laisse parfois sonné,
comme ce silence qui suit la chute d’un hêtre,
arbre à confidences et désirs.
Christophe
Malléjac
Date de
parution : 26 août 2005
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