roman

Fabienne Juhel - La verticale de la lune

Éditions Zulma - 144p, 12.50€

[4.0]

 

  

    Il y a une mythologie spontanée de la nature chez Fabienne Juhel, une manière lyrique et pointue de dresser un hymne à la végétation et ses secrets mais sans lourdeur, sans écologisme primaire, avec la justesse familière et crue d’un regard d’enfant.

 

   Le jardin est au fond le lieu où la civilisation s’arrête. Même apprivoisé, élaboré, entretenu, il conserve ses mystères, sa réglementation personnelle, sa logique et ses insondables surprises. Le cadre idéal en somme au déploiement sauvage de l’imaginaire d’une petite fille, dont l’énergie brute rejoint l’oxygénation maximale de cette zone libre.

 

    Du trio cosmopolite et malgré tout complémentaire qui l’entoure – sa mère amoureuse et absente ; son alliée Teresa, la bonne mexicaine ; le bûcheron qu’elle surnomme « l’indien » - seul l’homme semble en mesure d’atteindre cette même dimension, de croire en la puissance potentielle des rêves. Concrètement, le voilà dans ses tenues mythologiques : « Il était nu, ce géant aux fesses dures et galbées comme des cuisses de femmes. Il était nu et indestructible. Beau comme un dieu souterrain, remonté des entrailles de la terre, pour fusionner avec son  égal et son mortel, l’arbre au corps fraternel. Il était nu et puissant. Le dos tendu comme une voile, entre les câbles de ses bras, à la verticale du tronc. Un Jésus-Christ retourné. Nu comme un homme qui viendrait de naître, taillé pour la course, la chasse et l’amour ».

Son corps à elle, aussi, s’est abreuvé à la chair de l’arbre.

 

    Il ne faut sans doute pas croire tout ce que disent les petites filles, non pas qu’elles inventent des histoires mais celles-ci nous sont inaccessibles de prime abord car relevant plutôt du domaine majestueux de la transfiguration, nécessaire et salvatrice. La fillette solitaire n’est pas, à rebours des apparences, une mythomane. Au contraire : se saisissant de la réalité, elle use de son regard comme d’un filtre pour l’envelopper de l’étoffe poétique, qui gagne sur le temps. Homère ne faisait pas autre chose.

 

    Pas de babillages, pas d’enfantillages : Fabienne Juhel offre par son écriture riche et précise une voix claire et juste à cet « écureuil d’automne, lapin sale d’hiver, fauvette du printemps et abeille d’été ». Pas de pathos non plus : dans ce premier roman maîtrisé, la vie brute tranche d’un coup sec et laisse parfois sonné, comme ce silence qui suit la chute d’un hêtre, arbre à confidences et désirs.

 

Christophe Malléjac

 

Date de parution : 26 août 2005

 

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