Deux grands chapitres d’une soixantaine de pages
constituent Les bois de l’aube et chacun à
son tour s’ouvre sur deux pages qui mettent en scène
un chevreuil au milieu d’une prairie. Un chevreuil
« dieu de la forêt » qui agit
comme un révélateur. Les bois évoqués dans le
titre sont certainement à double sens : la forêt
très présente et perçue comme refuge et les
ornements caractéristiques de l’animal.
Comme nous sommes dans une collection consacrée à
l’enfance, il est normal que le livre s’attache
à nous parler d’un enfant. Plus précisément de
Théodore, petit garçon presque rachitique et
maladif, la bête noire de ses camarades d’école,
nul en sports – magnifiques pages sur les
accessoires de la salle de gymnastique transformés
en instruments de torture - et pas vraiment plus
brillant dans les autres matières. Un petit garçon
bien esseulé, rejeté à peine regardé, sinon aimé,
par des parents âgés et très riches, laissé pour
compte entre une mère évanescente, rêveuse, avare
de gestes et de réactions et un père autoritaire,
qui l ’emmène à la chasse. Pour supporter tout
cela : la solitude, l’indifférence et les
railleries, Théodore se réfugie dans le rêve,
plus encore dans la fantasmagorie. Son secret à
lui, son royaume privé c’est la chambre rose de
Emilie, sa sœur morte très jeune qu’il n’a pas
connue. En pénétrant dans cet espace, le garçon
maladroit et fragile se métamorphose, se laisse
imprégner, infiltrer par le souvenir de Emilie,
allant jusqu’à s’identifier à elle, d’abord
par la voix devenue cristalline et aiguë, ensuite
par l’apparence quand il se vêt de cette robe au
taffetas rouge et chuchotant. Les poupées
deviennent ses confidentes, ses camarades de jeux.
Ne nous y trompons pas : pas de grivoiserie ou
d’obscénité ici. Ce serait même faire injure à
l’auteur de l’évoquer. Nous sommes juste amenés
vers une autre dimension, celle du conte, de la
parabole.
C’est
vrai que nous sommes confrontés à de l’étrangeté,
du bizarre, notions qui échappent beaucoup aux
adultes mais certainement pas aux enfants dont
l’imaginaire est souvent sans limites. C’est
pourquoi le chevreuil aperçu et que son père
chasseur abat en plein élan revêt-il une telle
signification symbolique : celle de la pureté
et de la liberté face à la cruauté et l’égoïsme
des hommes. Des sentiments que Théodore ne connaît
que trop bien et qui font éclore spontanément chez
lui un amour aveugle pour la bête assassinée à
qui il construit une stèle dans la forêt et dont
il vole quelques jours plus tard le superbe rôti réservé
aux invités de ses parents.
Outre la personnalité complexe et riche de Théodore,
au delà d’une histoire presque onirique qui
lorgne vers le conte, la grande force de ce livre réside
en son style et la qualité de son écriture.
C’est un enfant qui pense, qui ressent et qui
souffre, mais ce sont des mots, des phrases d’un
auteur, enseignant aussi la littérature, qui sont
chargés de retranscrire tous ces états, et avec
quel talent, quelle précision, quel souci du détail !!!
C’est réellement une écriture magnifique, donc
poignante qui vous frappe en plein cœur. Il y a
forcément beaucoup de talent de la part d’un écrivain
adulte à se mettre dans la tête d’un enfant, ce
qui était déjà pressenti à la parution de son
premier roman Les jours perdus, peignant la
lente agonie d’une mère. Roman pour lequel
l’auteur se disait être attentif à retrouver les
sensations de l’enfance ; une ambition
pleinement atteinte avec Les bois de l’aube,
dont la lecture vous emplira de bonheur et de
nostalgie.
Patrick
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