roman

Jérôme d’Astier - Les bois de l’aube     1/2

Gallimard/Coll. Haute Enfance – 2003

 

 

 

    Deux grands chapitres d’une soixantaine de pages constituent Les bois de l’aube et chacun à son tour s’ouvre sur deux pages qui mettent en scène un chevreuil au milieu d’une prairie. Un chevreuil « dieu de la forêt » qui agit comme un révélateur. Les bois évoqués dans le titre sont certainement à double sens : la forêt très présente et perçue comme refuge et les ornements caractéristiques de l’animal.

 

    Comme nous sommes dans une collection consacrée à l’enfance, il est normal que le livre s’attache à nous parler d’un enfant. Plus précisément de Théodore, petit garçon presque rachitique et maladif, la bête noire de ses camarades d’école, nul en sports – magnifiques pages sur les accessoires de la salle de gymnastique transformés en instruments de torture - et pas vraiment plus brillant dans les autres matières. Un petit garçon bien esseulé, rejeté à peine regardé, sinon aimé, par des parents âgés et très riches, laissé pour compte entre une mère évanescente, rêveuse, avare de gestes et de réactions et un père autoritaire, qui l ’emmène à la chasse. Pour supporter tout cela : la solitude, l’indifférence et les railleries, Théodore se réfugie dans le rêve, plus encore dans la fantasmagorie. Son secret à lui, son royaume privé c’est la chambre rose de Emilie, sa sœur morte très jeune qu’il n’a pas connue. En pénétrant dans cet espace, le garçon maladroit et fragile se métamorphose, se laisse imprégner, infiltrer par le souvenir de Emilie, allant jusqu’à s’identifier à elle, d’abord par la voix devenue cristalline et aiguë, ensuite par l’apparence quand il se vêt de cette robe au taffetas rouge et chuchotant. Les poupées deviennent ses confidentes, ses camarades de jeux. Ne nous y trompons pas : pas de grivoiserie ou d’obscénité ici. Ce serait même faire injure à l’auteur de l’évoquer. Nous sommes juste amenés vers une autre dimension, celle du conte, de la parabole.

C’est vrai que nous sommes confrontés à de l’étrangeté, du bizarre, notions qui échappent beaucoup aux adultes mais certainement pas aux enfants dont l’imaginaire est souvent sans limites. C’est pourquoi le chevreuil aperçu et que son père chasseur abat en plein élan revêt-il une telle signification symbolique : celle de la pureté et de la liberté face à la cruauté et l’égoïsme des hommes. Des sentiments que Théodore ne connaît que trop bien et qui font éclore spontanément chez lui un amour aveugle pour la bête assassinée à qui il construit une stèle dans la forêt et dont il vole quelques jours plus tard le superbe rôti réservé aux invités de ses parents.

 

    Outre la personnalité complexe et riche de Théodore, au delà d’une histoire presque onirique qui lorgne vers le conte, la grande force de ce livre réside en son style et la qualité de son écriture. C’est un enfant qui pense, qui ressent et qui souffre, mais ce sont des mots, des phrases d’un auteur, enseignant aussi la littérature, qui sont chargés de retranscrire tous ces états, et avec quel talent, quelle précision, quel souci du détail !!! C’est réellement une écriture magnifique, donc poignante qui vous frappe en plein cœur. Il y a forcément beaucoup de talent de la part d’un écrivain adulte à se mettre dans la tête d’un enfant, ce qui était déjà pressenti à la parution de son premier roman Les jours perdus, peignant la lente agonie d’une mère. Roman pour lequel l’auteur se disait être attentif à retrouver les sensations de l’enfance ; une ambition pleinement atteinte avec Les bois de l’aube, dont la lecture vous emplira de bonheur et de nostalgie.

 

Patrick