En
préambule de ce livre, il est conseillé au lecteur
« d’occuper la place du corps de
l’auteur, autrement dit ici, être allongé ».
Il serait tentant d’ajouter à cette mise en garde
étonnante un conseil plus pragmatique : ne
rien lire sur ce livre, ne pas se reporter à la
quatrième de couv. Et rendre du coup cette
chronique nulle et non avenue. Tant pis.
Exercice
donc périlleux de rendre compte de ce récit d’un
peu plus de deux cents pages, qui tient à la fois
d’un roman à suspense et de l’ analyse
approfondie d’ un personnage et de son époque.
Si le héros est alité durant la majeure partie du
livre, c’est parce qu’il a subi un drôle
d’accident une nuit de veille ou d’espionnage
sur une plage près de Boulogne. Car notre loustic
est un scientifique peu enclin aux expériences
confinées à un laboratoire sombre et vétuste :
le Muséum d’Histoire naturelle son employeur.
Lui, son terrain de prédilection ce sont justement
les dunes d’ Ambleteuse où, en compagnie
de sa femme Lucie et de son chien Darwin, il a élu
domicile dans une bicoque au confort rudimentaire
afin d’observer les comportements notamment
amoureux des lapins, dont il fait un élevage
organisé. Cela s’appelle la cuniculiculture. La
curiosité et une indépendance d’esprit
farouchement revendiquées vont le conduire dans
cette chambre d’ hôpital…mais halte, tâchons
de respecter les lignes ci-dessus et laissons nous
le plaisir de la découverte.
Outre la mise en scène d’une intrigue dévoilée
progressivement selon la résurgence de la mémoire
de notre observateur de garennes, le livre de Philippe
Comar est avant tout le portrait réussi d’un
personnage formidable de roman. Quelle joie à
partager l’existence d’un homme libre, qui a
accepté de sacrifier un confort domestique et
bourgeois à l’exercice exclusif de sa passion !
Nullement aigri ou misanthrope – la meilleure
preuve en est l’amour indéfectible porté à sa
moitié, sinon l’amitié offerte à des collègues
pour le moins originaux – il n’en égratigne pas
moins la société actuelle : celle de la
rentabilité, du profit et de la consommation. Mais
cela est d’autant plus percutant et porteur que
l’auteur applique cette dénonciation pleine d’énergie
et d’humour aux domaines de la science, celle qui
va des laboratoires aux hôpitaux. A travers cette
aventure douloureuse qui ébranle ses convictions et
sa vue du monde, notre héros réfléchit certes à
l’état d’un monde délétère à bout de
souffle, mais aussi à sa propre trajectoire. Une
mise au point d’un homme temporairement couché
trop désireux de redevenir un homme debout.
C’est follement jubilatoire et revigorant. Parce
que Philippe Comar, par ailleurs professeur
de morphologie à l’école des Beaux-Arts de
Paris, fait preuve d’une imagination débordante,
nous entraînant aux confluences de l’irréel et
du fantastique. Grâce à une écriture complètement
maîtrisée, truffée de notes d’humour souvent
noir ou décalé, enjolivée par un vocabulaire
riche et inusuel, Les dunes d’Ambleteuse
est un roman vif et intelligent, spirituel et
emballant, révélant un personnage atypique et
attachant. Sont ici réunis tous les ingrédients
d’un bonheur garanti à la lecture, quelle que
soit la position choisie d’ailleurs...
Patrick
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