Tout
d’abord, pour être tout à fait juste, il faut
rappeler que ce petit ouvrage a été écrit en
1999, sous le gouvernement Jospin. Ce qu’il montre
et ce qu’il annonce revêt d’autant plus de
valeur et de terreur à l’aune de ce qui se passe
aujourd’hui en France.
Le
propos clair et abondamment documenté de Wacquant
est de nous montrer le passage de l’Etat
providence à l’Etat pénitence, de l’Etat
social à l’Etat pénal. Cela passe par la
criminalisation de la misère et le renforcement des
politiques répressives et carcérales.
Sa
démonstration commence aux Etats-Unis devenus les
champions du tout-carcéral avec une population
estimée à deux millions derrière les barreaux.
L’incarcération ainsi développée, confiée de
plus en plus aux mains de sociétés privées qui
deviennent un des premiers employeurs du pays,
stigmatise les populations miséreuses sans travail
que l’on veut faire tout simplement disparaître
du tissu social habituel. On estime à cet égard
que deux points de la baisse du chômage américain
sont au moins imputables à l’essor vertigineux de
l’emprisonnement. C’est le jeune Noir inactif et
responsable de délits mineurs principalement en
rapport avec le trafic de stupéfiants qui est ici
le premier visé.
A partir de théories fallacieuses et non fondées,
qui reçoivent le soutien incongru
d’universitaires et bien sûr de politiciens, se développe
d’abord aux Etats-Unis puis à travers toute l’Europe
la nécessité de la stigmatisation de la misère. Wacquant
nous montre comment l’Angleterre de Tony Blair
devient la porte d’entrée idéale de ces idées
libérales copieusement étendues aux autres pays
européens, quelle que soit leur couleur politique,
même si l’on peut penser logiquement que les
gouvernements de droite soient encore plus enclins
à développer ce type de politiques.
La
« tolérance zéro » qui a fait de New
York la ville américaine la plus sûre, au prix
terrible de l’énorme augmentation des budgets de
la police au détriment des budgets sociaux, devient
ainsi la référence de pensée et de mise en place
de nouvelles politiques de tous les pays
occidentalisés, y compris les pays européens
nordiques pourtant initiateurs des meilleurs
politiques sociales qui puissent exister.
Le
tout-sécuritaire qui veut tout régir et légiférer
en oublie cependant un des droits les plus
fondamentaux en le piétinant sauvagement : le
droit au travail et à l’intégration de chaque
individu. La réduction des budgets sociaux entraîne
une diminution des aides en les assortissant de
conditions toujours plus draconiennes : ainsi,
en Angleterre, une mère célibataire ne peut
toucher son aide qu’à condition de justifier d’
un emploi.
En 150 pages et étayé de données chiffrées et de
statistiques indiscutables, le petit et
indispensable opus de Wacquant dresse un
tableau froid et terrifiant de l’évolution de nos
sociétés contemporaines. Quatre années plus tard,
la politique mise en place par le gouvernement Raffarin :
remettre les chômeurs stigmatisés au travail, développer
le programme immobilier carcéral est bien là pour
nous prouver la véracité de la démonstration
visionnaire de Wacquant. A lire de toute
urgence...
Patrick
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