Les
cadavres d’un fonctionnaire et d’une serveuse
d’un restaurant de Tokyo sont retrouvés un matin
froid de janvier sur une plage du Kyushu – île
située à l’extrême sud du Japon. L’homme et
la femme sont enlacés et à côté d’eux gît une
bouteille empoisonnée par du cyanure. Les policiers
chargés de l’enquête n’ont aucun doute :
il s’agit d’un double suicide amoureux. Inutile
de poursuivre l’investigation plus loin. Pourtant,
un inspecteur sinon plus perspicace, du moins plus
obstiné, ne peut chasser de son esprit certains détails
qui sèment le doute : pourquoi le suicidé
a-t-il passé six jours seul dans sa chambre d’hôtel
avant de subitement aller sur la plage pour se
suicider ? Pourquoi a-t-il fait une partie du
voyage seul, comme semble le prouver le ticket de
wagon-restaurant retrouvé dans la poche de son
manteau ? Et surtout n’est-ce pas étrange
que la mort de ce jeune fonctionnaire arrange tous
les dirigeants du ministère, perturbé depuis
plusieurs mois par une sale affaire de corruption ?
Décidé à lever le voile sur ces ambiguïtés et
soupçonnant que le double suicide s’apparente
plutôt à un double crime, l’inspecteur Mihara se
lance dans une enquête haletante qui le fera
traverser tout le Japon en train.
Tokyo express, roman policier de Seicho
Matsumoto
(1909-1992), est paru au Japon en 1957 et est depuis
cette date un des plus célèbres best-sellers du
polar nippon. Premier roman de Matsumoto, il
consacre un auteur désormais renommé au Japon.
Dans
ce roman, pas de sang, pas de coup de feu, pas même
de courses poursuites. Les policiers ne ressemblent
pas à ces intrépides héros qu’a fait naître
l’imaginaire européen : le modeste
inspecteur Mihara se déplace en train ou en bus, écrit
de longues lettres rivalisant de politesses à son
collègue, et, tenu de rendre des comptes quotidiens
à son supérieur hiérarchique, ne prend aucune
initiative personnelle. Quant au coupable, il est dès
les premiers chapitres identifié – ou du moins
fortement soupçonné. Durant tout le roman, le
personnage principal cherche non pas à désigner le
criminel, mais à prouver qu’il y a eu crime et à
trouver les moyens de vérifier son intuition première.
Un
polar où on devine dès les premiers chapitres le
coupable, cela pourrait paraître ennuyeux et
contraire à toutes les règles du récit policier !
A vrai dire, tout l’art de Matsumoto réside non
pas dans la tension narrative, mais dans la
construction méthodique et quasi scientifique de
l’intrigue. Tout le nœud du suspens tient dans
quelques chiffres : les horaires très précis
des trains qui quadrillent le Japon. Minutie,
perspicacité et intuition sont les atouts de
l’enquêteur qui cherche la vérité en vérifiant
chaque détail avec une précision incomparable.
Certes,
il n’est pas toujours aisé pour le lecteur français
de s’y retrouver dans les noms des personnages et
des villes. D’ailleurs, la carte du Japon, ajoutée
dans l’édition française, n’est pas superflue.
Cependant, le lecteur se laisse très rapidement
prendre au jeu qui le fait embarquer dans un voyage
ferroviaire à travers tout le Japon des années
1950. A travers l’enquête policière, c’est un
Japon fortement structuré par les rapports hiérarchiques
et rigoureusement organisé que nous découvrons.
Céline
Lavignette-Ammoun
Date
de parution : 19 Mai 1998
Plus+
www.editions-picquier.fr
|