L’art, lorsqu’il n’est pas souillé d’oripeaux culturels, tire sa force subversive de l’impact violent qu’il produit sur le corps directement. C’est en tous les cas l’expérience que vit Carlo et qu’Adrien Goetz relate à travers son court roman « une petite légende dorée ».
Son précédent opus (« La dormeuse de Naples ») avait en son temps remporté un certain succès, critique notamment, avec l’attribution de quelques prix. Déjà, il y menait une enquête à la recherche d’un tableau (d’Ingres) disparu.
Ici, son récit s’épanouit dans le cadre convenu du roman d’espionnage, habile procédé de détournement –rondement mené- d’un genre littéraire qui, s’il possède de sérieux spécialistes (de
Ian Fleming à John Le Carré) ouvre aussi la voie à de plus audacieuses expériences (Conrad ou Sollers par exemple).
Le cadre est familier, ultra classique : Carlo, fonctionnaire international français d’origine italienne éduqué aux Etats-Unis (n’en jetez plus), vit avec Marge, la plus américaine des américaines. Ensemble, ils forment l’incarnation moderne du rêve américain, trentenaires modèles fruits d’un système éducatif (Yale pour lui) dans lequel la nation puise les éléments brillant pour en faire son élite. Au sortir de l’université, plutôt que la lucrative finance, Carlo a opté pour l’espionnage.
Allons droit au but : cette petite légende dorée, c’est celle de Carlo d’abord, l’orphelin en mission du côté d’une Europe centrale en pleine ébullition. Mission d’un type particulier cependant, qui se place à la marge des soubresauts de l’histoire (« Le communisme s’écroulait en Russie. On ne parlait de rien d’autre. Carlo fit celui qui savait, fut obligé de se passionner ») pour mieux se déployer sur les traces du maître de l’observance, peintre siennois du XVème siècle, à l’œuvre dispersée, dont on ignore (presque) tout. Rencontres, rendez-vous secrets, échange de documents, faussaires en tous genres : la mécanique précise de l’espionnage ne s’efface jamais et joue son rôle, faisant planer tout le long du livre un intriguant mystère.
Et puis l’espionnage n’a que faire des ornements précieux.
Adrien Goetz ne s’encombre pas d’effets. Son style, direct et musical, débarrassé de tout lyrisme superflu, colle à un récit oscillant sans cesse d’un présent d’aventure vers un passé lourd de souvenirs et de douleurs, mais sans névrose et sans apitoiements.
Il y a une multitude d’angles d’approche à cette petite légende dorée, autant de manière de le lire. L’ombre de
Patricia Highsmith, celle –plus fugitive- de
Francis Scott Fitzgerald traversent par instants ce texte serré. Au final, une fois le livre refermé, on repense à Carlo et sa dérive inconsciente pour tenter de remettre un peu d’ordre dans les pièces de sa vie, dispersées par le temps. Extraire de la temporalité : N’est-ce pas de cela précisément que l’art tire sa puissance ?
Christophe
Malléjac
Date de
parution : 7 janvier 2005
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