Will
Self - Ainsi vivent les morts
Points
Seuil - 2002
« Je
n’écris pas de fiction pour fournir aux gens un modèle
d’identification et je ne décris pas une image du
monde dans laquelle ils pourraient se reconnaître. J’écris
pour surprendre le lecteur. »
Belle profession de foi de la part de cet auteur anglais
né en 1961, à Londres d’un père anglais professeur
et d’une mère juive américaine, au parcours très
chaotique puisqu’il goûte aussi bien aux études de
philosophie et aux livres dont il est grand consommateur
qu’aux drogues de plus en plus dures. En 1986, il décide
d’entamer une cure d’intoxication et démarre par là-même
sa carrière de journaliste et d’écrivain.
Ses
œuvres, comme le montre bien Ainsi vivent les morts,
puisent largement dans son passé, sa filiation
et ses errements. Il peut aujourd’hui être mis
à côté d’autres auteurs anglais comme Martin
Amis, David Lodge ou Jonathan Coe et
il n’a certes pas à rougir de la comparaison.
Le livre dont il est ici question raconte les
tribulations ante et post mortem de Lily Bloom, vieille
juive américaine exilée à Londres, mère de trois
enfants : un premier garçon écrasé par une
voiture aux États-Unis, deux filles, l’une Charlotte
snobinarde, riche mais incapable de procréer, l’autre
Natasha droguée, volage et très belle. A sa mort, Lily
rejoint donc un autre monde parallèle dans lequel elle
est coachée par Phar Lap Jones, un aborigène
australien. Elle y retrouve notamment son enfant mort,
mais a toujours la connaissance de ce qui se passe dans
l’autre monde, sans avoir à en subir les anciennes
souffrances physiques et les besoins vitaux
d’alimentation.
Lily
Bloom est un grand personnage de roman, une vraie nature
souvent très proche du politiquement incorrect,
d’abord par son langage très châtié, ses prises de
position, son obsession sexuelle et son antisémitisme
juif. Qu’elle soit encore vivante ou désormais morte,
elle tire à boulets rouges sur la société actuelle,
et principalement sur l’Angleterre qui en prend le
plus souvent pour son grade. Inscrit dans le monde
actuel, le roman fait aussi régulièrement référence
à des faits d’actualité passés au crible critique
et partisan de Lily.
Oui, c’est un bouquin qui déménage et qui secoue pas
mal les méninges, écrit dans un style très coloré,
avec l’utilisation de pas mal d’onomatopées et de
jeux de mots décapants. Beau travail à saluer de la
part du traducteur Francis Kerline.
Jusqu’à
présent ses ouvrages sont soit des recueils de
nouvelles, comme La théorie quantitative de la démence
ou Vice Versa ou des romans comme Les grands
singes.
Bien éloigné de la littérature française trop
souvent repliée sur son nombril et son ego démesuré
dans laquelle l’humour et la distanciation font
parfois cruellement défaut, celle produite depuis
quelques années par Will Self est franchement décapante
et roborative, ce qui par ces temps très consensuels et
sans reliefs constitue un excellent antidote à la
morosité ambiante. Indispensable !
Patrick
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