Mieux
qu’une biographie ou qu’un essai, voici de la
bouche même de Bernard Lamarche-Vadel les
mots qui, entre 1991 et 1999 lors de conférences à
l’Institut français de la mode, livrèrent à des
auditeurs privilégiés de fabuleuses leçons de
perception de l’art du vingtième siècle. Double
cadeau donc ici : l’appréhension de la pensée
de BLV et, jaillissant des entrailles du temps, sa
voix vivante et passionnée telle que les
enregistrements (un cd rom de près de six heures
accompagne l’ouvrage) l’ont retenue. De BLV,
encore faut-il préciser qu’il fut sans aucun
doute l’un des plus grands critiques d’art de la
seconde moitié du siècle dernier ; qu’à
plusieurs reprises et sur le tard, comme nourri par
l’immensité du champ artistique, il publia
quelques romans d’un poids certain ; que son
suicide en 2000 à l’âge de cinquante ans est
venu ratifier au fond la singularité de son
existence vraie.
Les
textes ici rassemblées esquissent une histoire des
mouvements artistiques (plus que des individualités
sur lesquelles BLV regrette de ne pas assez
insister), des articulations fondatrices de
nouvelles écoles, de la manière dont, à force de
rupture et d’assimilation, les peintres surent
forcer l’art à suivre une voie presque sans
issue, des premières esquisses impressionnistes
jusqu’aux extrémités – extrémismes de l’art
conceptuel. Monet Manet Cézanne Derain Matisse
Picasso Malevitch Mondrian Pollock Lichtenstein
Warhol Kosuth Weiner : le brassage des figures
inscrites dans la légende de l’art ne donne lieu
à aucun facilité accumulatrice mais s’avance
logiquement et spontanément dans le droit fil
d’un raisonnement somme toute invariable. Car à
chaque époque, les peintres – comme l’ensemble
des artistes dans leur propre domaine – ont
travaillé leur matière dans le sens d’une réinvention
de la formulation, basée sur un constat juste et précis
de la situation léguée par leurs prédécesseurs
immédiats. Constat puis rupture. Ainsi de
l’amplification par les fauves de l’abolition de
la perspective déjà entamée par Cézanne ;
l’irruption de la planéité du motif
s’enrichissant encore par l’apport de la
technique neuve de Matisse (papiers collés) dans ce
même temps où le geste artistique se séparait de
la conception de l’œuvre, ouvrant le terrain aux
certificats de Lawrence Weiner, phrases-types vendus
en tant qu’œuvre d’art.
En
un siècle, à partir de l’irruption de la
photographie, l’Art pictural va ainsi foncer à
tombeau ouvert jusqu’à sa propre fin. Suivant le
cortège des morts annoncées (mort de Dieu chez
Nietzsche ; mort de l’homme chez Foucault), désormais
déconnectée de la référence historique, la
peinture va jusqu’au début des années 80 (mais
la littérature ne fait pas autre chose) se donner
comme son propre référant, entraînant l’expérience
dans un jusqu’au boutisme nécessaire et
anti-romantique. Dans le même mouvement, l’appréhension
des œuvres impose au spectateur une attitude plus
active. « Ce ne sont plus les
objets pris isolement et signés par un artiste qui
sont importants mais l’ensemble de la déclinaison
et de l’addition des différents objets qui
constitue l’œuvre globale de l’artiste »
dit BLV. D’où, selon lui, le décalage
entre l’art contemporain et sa perception
publique. Mais l’effort à consentir sera récompensé
pour qui osera s’y mettre et Bernard
Lamarche-Vadel, dans ce livre exigeant,
entrouvre une porte. Il ne tient qu’à vous,
lecteurs, de suivre le mouvement.
Christophe
Malléjac
Date
de parution : 24
août 2005
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