Tout
commence par un meurtre, meurtre gratuit qui n’est
pas sans rappeler celui des Caves du Vatican
de Gide. Pierre et Damien, deux adolescents
de bonne famille décident de réaliser le crime
parfait car sans mobile. Autour de ces deux “héros”
et des tourments, des cauchemars qui les harcèlent
après cet acte, Leslie Kaplan va tisser une
parabole sur l’Histoire, le crime et le châtiment.
Alors que chez Dostoïevski, la rédemption
venait par la foi, ici c’est par la prise de
conscience du destin de leurs grands-pères
respectifs qu’elle s’effectuera. Les deux
grands-pères, l’un juif muré dans son silence
depuis les camps, l’autre, fonctionnaire français
ayant obéi aux ordres, sont le prétexte à
revisiter l’affaire Papon et le livre de Arendt
sur le procès Eichmann. D’ailleurs, tout dans ce
livre sent le prétexte et le trait appuyé. C’est
la philosophie qu’ils viennent de découvrir en
terminale qui mènent ces deux adolescents au crime,
et c’est elle encore qui au travers de l’œuvre
de Arendt les “sauvent”. Et nous voilà
parti dans quelques passages décrivant les cours de
leur professeur, surnommée Alice. Caricaturaux, ces
cours qui se résument à des débats-discussions où
règnent à la fois l’absolue liberté de parole
et le moralisme bon teint. Caricatural aussi, le débat
entre le professeur d’économie ultra-libéral et
la professeur d’histoire marxiste. Caricaturaux
encore, les deux protagonistes et leurs familles
respectives. C’est comme si le petit Papon de
grand-père avait déteint sur Damien, son
petit-fils, forte tête, sûr de lui, parfois à la
limite de la misogynie ou du racisme, et qui comme
par hasard est celui qui a l’idée du crime, celui
chez qui le remord apparaît plus tardivement.
Mais laissons tout cela de côté. La seule question
qui mérité d’être posée est de savoir pourquoi
un tel ouvrage a reçu un accueil aussi chaleureux
des critiques. J’ose espérer que ce n’est pas
en raison de son “actualité” au travers de la célébration
du soixantième anniversaire de la libération de
Auschwitz, car pour ce qui est des procès Eichmann
et Papon, peut-être vaut-il mieux lire les
comptes-rendus d’audience ou le livre de Arendt
pour s’en faire une idée. Peut-être est-ce en
raison de l’image de la philosophie que donne cet
ouvrage, que je n’appelle pas roman, car ce n’en
est pas un. Mais, là encore il y aurait beaucoup à
redire. Ce serait une citation de Freud, donnée
lors d’un cours sur « science et déterminisme »
qui donne
à Damien l’idée du meurtre : « ne pas
croire au hasard rev[ient] à soutenir une
conception religieuse, superstitieuse, du monde, à
maintenir l’idée d’une finalité, d’un ordre
dernier de l’univers. » J’y vois
l’expression du refus de la science propre à une
certaine philosophie française. La science ne croit
pas au hasard, elle soutient l’existence d’un
ordre dernier de l’univers.. elle n’est donc que
superstition ! On en arrive ainsi à faire le
procès de la science et de la technique (et de
toute forme de raison raisonnée) pour complicité
dans les crimes nazis !! Cette
pseudo-philosophie qui fait de la raison l’ennemie
de toute pensée vraie est celle qui me paraît
fasciner Leslie Kaplan. À titre
d’antidote, je recommanderai le dernier livre de Jacques
Bouveresse : Pourquoi pas des
philosophes ?)
Rien à mes yeux de lecteur pour sauver ce livre. Il
est vrai que l’on publie bien pire à l’heure
actuelle, mais que les éditions P.O.L. qui m’ont
habitué à mieux publient cela, et que toute la
critique journalistique, dont il y aurait beaucoup
à dire, emboîte le pas, me navre. Ce n’est pas
mal écrit, mais ce n’est pas de la vraie littérature ;
le sujet aurait peut-être pu être intéressant,
mais cela ne suffit pas. Et puis tout cela manque de
finesse tant dans l’écriture que le contenu.
J’espérais découvrir un auteur, je suis profondément
déçu.
Dominique
Fagnot
Date de
parution : 6 janvier 2005
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