L’histoire de ce livre de Richard Morgiève
(écrivain et scénariste) tourne autour de Gérard
(Gégé), personnage probablement
autobiographique, quinqua solitaire à
l’imagination foisonnante, qui aime à
s’imaginer des films « où des figures de
son passé le relancent à l’écran, exécutant
d’inquiétants numéros ». Mais ses
fantasmes souvent morbides (où prédominent le sexe
et la mort) tournent et virevoltent autour d’inquiétantes
obsessions, faisant resurgir des douleurs archaïques,
mélangeant peurs et angoisses. Et Gérard décide
alors de mener l’enquête, une enquête pour aller
au bout de lui-même et réussir à « fixer
le soleil noir de son inconscient »…
Marqué par un destin implacable, où la violence prédomine,
il faut à Gérard arriver à accepter enfin
ce qui n’a plus lieu d’être, son passé, pour
mieux le dé-passer. Concevoir l’obscénité de ce
qui lui est arrivé (et qu’il a aussi recherché)
pour enfin pouvoir vivre, dans le réel, et non plus
dans son monde imaginaire sublimé. Accepter
l’inacceptable. « Rien n’est silence »
et « tout est à faire ».
Catharsis de son dernier film, qui passe pourtant en
boucle dans sa tête, pour réussir à espérer, à
oser rêver d’être enfin à l’aune d’une
nouvelle vie ?
Mais entre les figures parentales, où les rôles
s’intervertissent sans cesse, réminiscences de
climat incestueux, de violences sado-maso, il est
justement difficile pour Gérard de faire la
paix avec ses fantômes et avec lui-même, à défaut
de s’aimer. Fasciné qu’il est par la promiscuité
qu’il a trop l’habitude de vivre avec ses
monstres à lui, figures d’un temps révolu qui le
rattrapent encore et encore. Fasciné qu’il est
aussi par sa logique d’auto-destruction qui lui
fait côtoyer le pire, avec parfois ravissement. «Tout
est obscur et le ciel invisible, dans cette partie
du monde rien n'est silence vraiment et pourtant
tout fait silence. Ainsi tout concourt à une
harmonie aussi parfaite qu'effrayante...»
Ce livre « lynchien » à l’écriture
virtuose, que certains jugeront sûrement
inconvenant, est cru et sincère, tourmenté et pathétique,
et surtout humain, avant tout humain. Et cela, sans
provocation factice, mais tout simplement parce
qu’il est authentique. A l’image de son
personnage, pourtant ambivalent, et qui n’a que
son imaginaire et ses rêves, même torturés, pour
s’évader. « Mon cinéma me tue parce que
je vieillis, plus je vieillis, plus mon cinéma intègre
ce que je n'ai pu vivre, et de fait, mon cinéma m'étouffe,
me coule dans son ciment pour me noyer tout au fond
de moi. ».
Et cette quête douloureuse, clair-voyante et rédemptrice
emmène Gérard (et son lecteur) loin sur un
chemin difficile, emporté dans une sarabande mortifère
et envoûtante. Et à l’issue de ce voyage qui lui
permet, enfin, de « voir le jour », débarrassé
de tous ces oripeaux sordides qui le dévoraient
jusqu’alors de l’intérieur, on se dit qu’il
pourra peut-être accéder à une accalmie, une
renaissance possible où pourra pointer un peu de
clarté. Loin, bien loin de son « monstrueux
cinéma multisalles » et des fantasmes
violents qui jusqu’alors comblaient sa vie.
En bref, voici un livre « coup de poing »
qui ne laissera pas indifférent.
Cathie
|