J'ai
l'impression de bien la connaître Lipanusa, cette
île italienne près de la Sicile, j'ai vraiment
eu l'impression d'y être, d' entendre parler les
vieux avec leur accent et leurs expressions
typiques, d'admirer les paysages sous la pluie
omniprésente. On se sent plongé dans l'ambiance
de l'Italie profonde, terre de traditions et de
croyances parfois irrationnelles comme ces mystérieux
mugissements de moutons, présages de mauvais
augure. Mention spéciale pour le traducteur qui a
pris grand soin de restituer le plus fidèlement
possible la saveur des parlers siciliens. Il
laisse d'ailleurs souvent des passages en dialecte
qu'il traduit juste après. Ainsi, on s'imprègne
encore mieux des différents personnages.
C'est là justement une des grandes qualités du
roman de Di Cara : il nous rend familier un lieu
qui n'existe pas, il décrit magistralement la
beauté désenchantée de cet endroit à la
mauvaise saison. L'isolement, la solitude, la mélancolie
de cette île sont exaltés avec force. Si je
commence par parler du lieu, c'est qu'il me semble
être au centre du roman au même titre que le
personnage central, Salvo. L'intrigue paraîtrait
presque secondaire, elle ne se met d'ailleurs
vraiment en place qu'au milieu du roman.
Salvo, policier de la Brigade anticriminelle de
Palerme vient d'échapper à la mort et se
retrouve seul, à l'hôpital, un trou dans la
poitrine. Une bande de mafiosi a tenté de
l'assassiner. Mario, son meilleur ami, qui assure
des gardes au dispensaire de Lipanusa lui propose
de l'accompagner sur l'île afin de se reposer.
Dans cette île perdue, coincée au bout de nulle
part, Salvo réfléchit, traîne, il ne sait plus
trop où il en est de sa vie sentimentale comme
professionnelle. S'il arrive à contenir son envie
de fumer, son penchant pour la Ceres est trop fort
et puis, quoi faire d'autre que boire quand on se
sent seul et que le seul endroit animé est chez
Fedele au pub. Le temps semble s'écouler dans une
langueur monotone jusqu'à ce que Toni, un
baroudeur violent et grande gueule soit retrouvé
mort chez lui ; les carabiniers concluent à un
accident domestique mais Salvo n'y croit pas et décide
de mener son enquête, bien qu'il ne soit à
Lipanusa qu'en qualité de touriste convalescent.
C'est de son point de vue, c'est à travers son
oeil que toute l'histoire nous est contée. Eh
quel bon choix de narration car il y a une véritable
symbiose entre Salvo, le flic sentimental et
brutal, poète au parler cru et l'île de Lipanusa.
Certaines expressions sont dignes d'Audiard. Les répliques
de Salvo, comme celles du grand dialoguiste, font
mouche à tous les coups. A ce propos, une
adaptation cinématographique est en cours.
On se sent d'autant plus proche de Salvo que l'on
suit l'histoire depuis sa tête, ses pensées les
plus intimes, ses impressions nous sont livrées
dans un style laconique avec de courtes phrases
qui donnent de la dynamique au récit.
Piergiorgio
Di Cara signe donc un premier roman prometteur,
sombre, âpre et beau comme l'île qu'il dépeint.
Marie-Noëlle