Parfois, un livre, un film ou toute
autre œuvre nécessitent un effort particulier, une
approche plus attentionnée et généralement si cet
effort apparent est consenti, la récompense est immédiate
sans parler des effets durables. C’est à coup sûr
à cette catégorie que l’essai philosophique de Jean-Marie
Hordé, par ailleurs directeur pertinent du Théâtre
de la Bastille, appartient. De plus, lorsque les idées
défendues souvent à contre-courant d’une pensée
actuelle monobloc et peu profonde rejoignent celles
que nous revendiquons certes plus modestement à
l’intérieur de ce site, alors nous devons rendre
compte de cet ouvrage pas facile, parfois un peu
abscons, peut-être un peu avare en exemples, mais
indispensable et salutaire.
L’idée maîtresse du livre est le
constat de la disparition progressive de ce qui
constitue l’âme de chaque être, soit en fait la
réduction des écarts qui doivent séparer et donc
désigner chaque individu et qui rendent possibles
son épanouissement et la détermination de sa
personnalité. C’est la notion de l’être séparé
qui doit se construire de l’extérieur vers
l’intérieur, non pas dans une représentation
tautologique de son Moi, mais dans l’imprégnation
continuelle de l’environnement dans son ensemble.
Selon l’auteur, cet effacement progressif est la
conséquence de la massification et de la
marchandisation qui transforme l’homme en
consommateur, y compris de la culture. Consommateur
replié sur lui aux besoins sans cesse nouveaux et
créés, mais identiques et formatés, donc tuant
l’ Autre (la théorie de Finkielkraut sur
l’utilisation en public du portable qui tue sa
propre intimité et nie celle de l’autre).
Redéfinissant sous un jour philosophique les notions
d’admiration, d’élégance, de respect et du goût,
l’auteur dresse un tableau sombre de notre société
contemporaine, engagée sur la plus mauvaise des
routes qui ignore la distinction en ne parlant que
de proximités. Ce qui engendre une génération
composée de Narcisse répétés à l’infini,
inventant d’une part le pire des clonages :
l’intellectuel et d’autre part l’extension de
relations fondées sur le système du « pareil
au même », tuant la singularité au profit de
la globalité.
A travers son raisonnement, Jean-Marie
Hordé en profite pour tordre le coup à
certaines idées reçues en dénonçant avec une
argumentation solide et étayée la teneur des
discours actuels. Il tente aussi de resituer la
place de l’art, perçu comme sélection qui
appelle un regard. Il utilise enfin son expérience
d’homme de théâtre pour le décortiquer en tant
qu’art du passage, où le meilleur acteur est
celui qui disparaît derrière l’œuvre dans un
entrelacement subtil de présence et d’absence.
Art sans cesse recommencé, telle l’existence
d’une démocratie ; qui ne va pas d’échec
en réussite, mais d’échec en échec moins raté.
Livre de résistance, d’alerte
pessimiste et sombre sur une société régie par la
communication et le consumérisme, La mort de
l’âme, publié aux Solitaires Intempestifs,
petite maison bisontine au nom prédestiné, mérite
largement l’effort d’une lecture, effort que
l’auteur ne saurait trop nous conseiller, je
pense. Car je suis persuadé que cet essai brillant
et roboratif ne peut conduire qu’à des
questionnements et des réflexions, et donc à la
construction de son Moi séparé et singulier. A
inscrire très vite sur sa liste de livres à découvrir...
Patrick
Les Solitaires Intempestifs
14 rue de la République
25000 Besançon
www.solitairesintempestifs.com
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