Quand ils ne sont pas directement liés
à l’Histoire avec un grand H ou hagiographiques,
il est bien rare que de nos jours les romans aillent
s’occuper d’une autre époque que l’actuelle.
En cela, c’est le premier intérêt du dernier
roman de l’argentin Pablo de Santis, par
ailleurs éditeur et écrivain pour la jeunesse, scénariste
pour la télévision et auteur de bandes dessinées.
Mais ce n’est pas le seul…
Nous voici donc deux bons siècles en
arrière, quelque temps avant la Révolution Française,
en pleine période des Lumières. Le jeune Dalessius,
devenu orphelin suite à la disparition de ses
parents au cours d’un naufrage, a été recueilli
par son oncle, maréchal qui a en charge
l’organisation des Postes nocturnes à la mission
délicate de transporter les morts à travers le
pays. Le neveu apprend la calligraphie, métier de
l’ombre chargé de retranscrire les
correspondances, de copier les actes de justice.
Plutôt doué, il commet néanmoins une bourde en
utilisant une encre qui, devenue invisible, rend
caduque une sentence d’exécution. Chassé par son
oncle à peine sorti de prison , le jeune
calligraphe échoue à Ferney chez un certain Voltaire.
« Une fois libéré, j'allai
voir mon oncle. J'espérais dormir nuit et jour dans
un véritable lit, sans la puanteur du cachot, les
cris et les rats. Mais mon oncle avait déjà préparé
mon bagage et la froide étreinte avec laquelle il
me reçut ne célébrait pas mon retour mais mon
congé ».
D’abord cantonné aux tâches de secrétariat et
d’archivage, le grand écrivain envoie ensuite
Delassius à Toulouse pour y mener enquête sur un
crime étrange : celui d’un père protestant
envers son fils converti au catholicisme. La suite
des opérations le conduira à Paris, dans des
mondes interlopes et souterrains où se croisent
bourreaux et fossoyeurs, dominicains et jésuites,
tous hommes de l’ombre conspirateurs et intrigants
à comploter contre les philosophes des Lumières et
à remettre le pays dans le droit chemin de la foi
égarée.
En fait, ce court roman d’à peine
deux cents pages, séparé en trois parties constituées
de brefs chapitres, tient à la fois du récit
fantastique et du roman policier. Mené à un train
d’enfer qui laisse peu de place aux épanchements
des personnages, il privilégie l’action et les
faits souvent traités avec drôlerie et par le
petit bout de la lorgnette . On s’y amuse
beaucoup de croiser toutes sortes de personnages
tels Kolm le bourreau qui mettra au point une
machine qui fait furieusement penser à la
guillotine ; Von Knopper un fabricant illuminé
d’automates et sa fille Clarissa ; Silas
Darel un calligraphe muet et remarquable dont la généalogie
remonterait aux scribes égyptiens. Dans ce milieu
de l’écriture secrète et appliquée, les parfums
et les compositions d’encres dominent ; des
encres aux multiples pouvoirs, de l’invisibilité
programmée à l’empoisonnement instantané.
Ce rythme rapide et très figuratif renvoie bien sûr à
l’univers de la bande dessinée. Difficile aussi
en lisant les souvenirs de Delassius devenu vieux et
exilé à Buenos Aires de ne pas penser aux
tribulations d’un autre artisan en son genre,
celui créé par Patrick Suskind dans le mémorable
Parfum.
Si Voltaire disparaît au fur et
à mesure du roman et nous prive peut-être de
quelques traits percutants, c’est bien autour du
jeune et pas farouche calligraphe que l’auteur de La
Traduction et du Théâtre de la mémoire
construit son roman frais et enlevé, cultivé et
divertissant, dont la syntaxe jamais apprêtée
renvoie aussi à celle du dix-huitième siècle.
Patrick Braganti
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