Triplé référence pour le titre du troisième
livre de Jean-Hubert Gailliot, également
co-fondateur en 1987 des éditions Tristram.
D’abord, à la fin des années 50, pour les érudits
littéraires, L’Hacienda fut la représentation
d’une construction possible et nécessaire pour le
mouvement situationniste. Quinze ans plus tard,
c’est le mouvement pop anglais de Manchester en tête
duquel trônaient Joy Division et New
Order qui baptise du même nom son club fameux,
avec un semblable objectif de création d’un
nouveau lieu (ici un endroit pour écouter et danser
sur une musique nouvelle). Dans le bouquin de Gailliot,
c’est une série télé tournée dans un parc à
thèmes et chargée de remettre en selle des
anciennes vedettes ringardes qui porte ce nom.
De la télé, Benjy le personnage central en bouffe
à foison en épuisant le stock d’une montagne
d’enregistrements, très précisément 665. Exilé
de France, il a atterri dans une ville à la frontière
du Nouveau-Mexique à la poursuite improbable
d’une chanteuse Ines Balderrama, dont il apprendra
l’assassinat, égaré entre Denver et Mexico.
Reclus au fond d’un bunker coupé du monde pendant
de longues semaines, Benjy en sort de temps à autre
pour quelques jours de baise au saloon-bordel local.
Le
roman de Gailliot se présente comme un
collage expérimental qui intercale les réflexions
apocalyptiques et paranoïaques de son héros et la
retranscription des programmes visionnés. On y
assiste notamment au vol d’une arme dans un club
de tir, à la déchéance de Gwladys actrice de série
Z mise à mal par un trio d’anciens cinéastes qui
proposent une relecture jubilatoire du match de foot
France-Allemagne de la coupe 1982. On y suit aussi
les développements de Gilbert Stein sur la théorie
de la clochardisation des nations, et surtout de
l’Occident.
Soit bric-à-brac foutraque et compliqué à
souhait, soit puzzle singulièrement cohérent dans
son discours et les idées exposées, L’Hacienda
constitue un cas à part dans la littérature
actuelle. Truffé de références qui vont des New
York Dolls à Philip Roth, en passant par
Jennifer Charles et Howard Hughes, le
livre prouve, si besoin était, l’étendue des
connaissances artistiques de son auteur atypique.
Sur
ce roman, planent aussi les ombres de grands écrivains
américains, comme Kerouac ou Faulkner.
Le héros de Gailliot emprunte d’ailleurs
son nom à celui de Faulkner dans Le bruit
et la fureur.
La
kaléidoscope offert par L’Hacienda se
traduit dans celui de l’écriture et du style.
Tour à tour faite de simples dialogues et de
longues phrases entourées de multiples parenthèses
et crochets – ne favorisant pas toujours la
lecture -, l’écriture de Gailliot est
multiple, riche et alambiquée. En tout cas
exigeante et excitante, pour qui voudra bien faire
l’effort de pénétrer dans un bouquin souvent
bordélique.
Patrick
Braganti
En
parallèle à cette publication, Jean-Hubert
Gailliot publie aussi 30 minutes à Harlem,
une courte fiction qui pourrait constituer un des épisodes
de L’Hacienda
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L'entretien
avec JH Gailliot
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