Alors que l’on pourra lire prochainement son second roman
très attendu, La diffamation, il est fort
recommandé de profiter de sa parution chez Folio
pour (re)découvrir le premier bouquin remarqué –
et auréolé du Prix du Premier Roman – de ce
jeune auteur blésois d’une quarantaine d’années.
Oui remarqué, parce qu’en tous points remarquable
par sa maîtrise, son originalité et son talent
d’écriture ciselée et précise.
Les quatre cents pages de L’heure
de la sortie tournent autour de la vie de Pierre
Hoffmann, professeur de français, célibataire
esseulé et un peu sauvage, qui affectionne beaucoup
l’auto-analyse et la décortication
intellectuelle.
Dans un collège tourangeau, il est amené à assurer les
cours d’un collègue stagiaire qui s’est suicidé
en se jetant de la fenêtre d’une classe où il
enseignait l’histoire à des élèves d’une
quatrième F. Ceux-ci se révèlent très vite comme
étranges : plutôt calmes et doués, ils
semblent très soudés depuis des années,
constituant un corps compact et indivisible contre
lequel le prof décédé s’est peut-être écrasé.
Très vite, règne une ambiance anxiogène et pas très
nette, faite de suspicions. Qu’en est-il vraiment
de cette classe ? Sentiment renforcé
lorsqu’une jeune élève est agressée sauvagement
un soir, puis par une filature de Pierre découvrant
des rites étranges pratiqués au fond d’un parc,
enfin par l’organisation tardive et surprenante
d’un voyage de fin d’année à Etretat.
Dufossé, s’il centre effectivement
l’intrigue sur cette classe, développe également
toute une kyrielle de personnages toujours bien campés
et décrits en quelques lignes, s’attachant plus
particulièrement aux traits des visages et aux
voix. A côté du corps enseignant, très bien vu et
ironiquement décortiqué – entre autres au cours
d’un repas entre collègues qui tourne au vinaigre
-, viennent se greffer la sœur de Pierre : Léonore
avec qui il entretient une relation très proche,
presque incestueuse et des personnages secondaires,
mais tous traités avec un égal intérêt et une même
dissection clinique au scalpel.
Truffé de références musicales qui parleront beaucoup
aux trentenaires nostalgiques, ce roman écrit à la
première personne livre aussi quelques réflexions
sur le système de l’Education Nationale, où médiocrité
ambiante et appauvrissement de la culture deviennent
les maîtres mots.
Mais c’est aussi un livre sur
l’incapacité à interpréter et à comprendre des
événements dont la signification ou l’enchaînement
logique n’apparaissent souvent qu’après coup.
Cette incapacité-là, que le très cérébral et réfléchi
Pierre sait parfaitement verbaliser, finira par
faire chavirer sa propre vie.
Dans le portrait juste de ces adolescents particuliers, à
l’intelligence acérée et au mal de vivre
probant, on ne peut pas ne pas penser quelques
instants au film Elephant, tant les
adolescents français dans leur détermination à la
limite de l’extra-terrestre et leur comportement
presque autiste sont proches des lycéens américains.
Brillant et jamais relâché, sachant
distiller l’angoisse avec deux fois rien,
composant une galerie de personnages différents,
surtout servi par une syntaxe toujours juste et adéquate,
L’heure de la sortie est effectivement un
premier roman très abouti qu’il n’est pas
question de louper aujourd’hui – alors que celle
de la rentrée n’est plus si lointaine.
Patrick
Braganti
PLUS
+
réagir
sur le forum livres
Roman paru aux Editions
Denoël en 2002
|