roman

Patrick Lapeyre - L’Homme soeur 

Éditions POL - 2004

 

 

 

    Alex Cooper attend sa sœur. Il l’attend depuis des années, exactement depuis le jour où elle est partie vivre aux Etats-Unis en lui disant « je reviendrai bientôt ». Dès cet instant, il n’a fait qu’attendre son retour. Sa vie toute entière est construite autour de cette dimension : les matinées lui appartiennent pour un semblant de vie sociale obligée et subie, mais les après-midi sont des espaces réservés à l’attente, pure, vibrante.

 

    Cooper vit donc à peine, sort peu, tout entier tendu vers le retour annoncé de sa sœur. Il néglige son travail à la banque, d’ailleurs peu passionnant, se nourrit sans conviction et exclusivement de cuisine chinoise –le traiteur en bas de chez lui fait l’affaire. Et bien que Cooper dégage un certain charisme auquel quelques personnes du sexe opposé sont sensibles, il n’a aucune vie amoureuse puisqu’aucune autre femme n’existe pour lui que sa sœur.

 

    L’homme-sœur est un livre sur l’absence, construit autour de cette vague promesse de retour faite un jour et qui décide de la tonalité générale d’une existence vouée à ce culte unique : Louise, sœur bien-aimée, trop aimée, exclusivement désirée, et bien sûr interdite.

Il ne s’agit pourtant pas ici d’un roman sur l’inceste, mais, bien au-delà, d’un texte sur ce qui constitue une vie. Entre humour noir irrésistible et tendre ironie, Patrick Lapeyre dresse le portrait émouvant autant que sidérant d’un homme tour à tour attachant et insupportable de suffisance et de misanthropie.

A bout d’espérance, Cooper oscille entre exaltation folle et dépression sordide. Parfois Louise resurgit et existe enfin pour quelques instants, généralement par le biais d’un coup de fil pour lui demander de l’argent, ou pour lui signifier elliptiquement une réapparition probable mais non datable en France. Alors, telle une plante verte dopée à l’engrais, Cooper s’épanouit, reprend goût à la vie et brique son appartement : il s’agit de se préparer à recevoir dignement sa sœur… Dans cette vie sublimée par l’absence et uniquement rythmée par quelques cartes postales lapidaires ou de rares messages de Louise sur son répondeur, Cooper fait figure de anti-héros absolu.

 

    Entre sourire complice provoqué par la drôlerie cinglante du style de Lapeyre et compassion perplexe pour un être radical et étonnant, le lecteur se trouve entraîné par la spirale de la dépression de Cooper, attiré par le vide consciemment programmé de cette existence grise.

 

    Car on ne lâche pas ce livre constitué de courts chapitres qui sont autant de saynètes aux titres parfois houellebecquiens ("les immaturités incompatibles", "la forme de l’erreur", "une solitude élémentaire", ou encore "une angoisse centrifuge…"), la dernière donnant son titre au livre, sinon son possible sens : à force d’attendre sa sœur, Cooper devient sa sœur.

 

Christelle

 

Patrick Lapeyre a récemment reçu pour cet ouvrage le Prix du livre Inter 2004.