roman

Philippe Delepierre - Même pas mal et autres paris stupides 

Éditions Page à page - 2004

 

 

 

    Sur la quatrième de couv, une petite photo nous montre Philippe Delepierre, petite barbe poivre et sel, paupières un peu tombantes, regard profond et un peu triste. Normal, car après avoir lu son recueil de cinq petits récits, desquels on ressort franchement essorés et anéantis, on se dit que ce gars-là, enseignant à ses heures, voyageur et découvreur impénitent, pourfendeur de l’ordre établi et de la langue de bois, lecteur insatiable, en connaît un sacré rayon sur la nature humaine et sur l’état d’un monde décidément à bout de souffle. Un monde, dont l’enfant-roi devenu tyran en est la victime toute désignée et presque acceptée.

 

    Cinq histoires qui mettent le plus souvent en scène des gosses : soit des gamins menteurs, mythomanes et cruels, soit des ados désenchantés et désœuvrés en rébellion contre la société, leurs parents.

L’auteur, qui s’est aussi illustré dans le polar, ne manque certes pas d’imagination, en nous tenant en haleine tout au long de ces cinq drames humains. Bien sûr, il y règle pas mal de comptes avec le poids des média (la fascination fatale exercée par une journaliste parisienne sur des lycéens), celui de la religion musulmane (la fille arabe devenue pute à quinze ans pour acquérir sa liberté et fuir sa famille), l’attirance malsaine des mondes virtuels offerts par l’Internet. Autant dire que tout cela s’inscrit dans la réalité la plus noire, la plus pessimiste qui n’offre plus aucune échappatoire.

 

    En plus de la force incontestable des récits haletants, il faut ajouter le talent de cet auteur nordiste (tout se passe dans la région lilloise) à jouer avec les mots, insufflant un rythme chaloupé, multipliant les allitérations et se rapprochant de la logorrhée propre au rap. Il avoue son penchant pour la vibration et le verbe, lesquels sont étroitement imbriqués, en déclarant bien haut : « Faut que ça swingue nom de Dieu et les mots ont intérêt à suivre la cadence ».

Soyez rassurés cher Philippe, nous la suivons haut le cœur, proches d’être bouleversés et emportés dans ce flux lexical toujours maîtrisé et renouvelé à l’invention poétique.

Il y a aussi cette capacité à se mettre dans la peau de plusieurs personnages, jeunes et moins jeunes, hommes ou femmes. Les cinq histoires même différentes véhiculent toutes de la noirceur et du désespoir, traversées de part en part par la mort toujours provoquée, préméditée.

 

    Delepierre qui confesse son respect, voire une filiation, pour Simenon, Hammett et Goodis et se reconnaît des liens fraternels avec Echenoz, Pouy ou Daeninckx, est bel et bien un auteur nécessaire et talentueux. Nécessaire, car il réveille en chacun de nous l’esprit critique que seule permet l’écriture militante et subversive. Talentueux, par son style décapant et musical, son savoir-faire à imaginer et à raconter des histoires. Noires, mais vivantes. Les lire dérange et bouscule, mais surtout cela émeut et procure un bien fou.

 

Patrick

 

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