La
littérature comme un jeu, mais sans cette
connotation ludique qui fait les beaux jours de la
société infantile. Le nouveau magasin d’écriture
d’Hubert Haddad a l’apparence protéiforme
d’un vaste parc, chantier vivant multiple et
fourmillant où les pièges, les allées secrètes,
les mystères et les gouffres transformeraient en
enfants passionnés des lecteurs pourtant doués de
toutes leurs facultés de raisonnement propres (à
l’âge adulte). Sans destination fixe (ses confrères
écrivains ? Les passionnés de lecture ?
Les curieux inattentifs ?), il nous laisse pénétrer,
sans guide sur-soulignant, à l’intérieur de la
boîte crânienne de la fiction, la sienne d’abord
– explicite ou implicite -, celle qui surtout préside
à tout acte de création littéraire. Bible de l’écrivain,
somme d’une vie de travail, le Nouveau Magasin
d’Ecriture s’annonce déjà comme le point
culminant d’une œuvre pourtant large d’une
cinquantaine de livres, et loin d’être close. La
richesse la plus évidente se niche ici dans sa
faculté sidérante à réunir, en son seul corps
matériel, la somme quasi infinie de centaines de
milliers de livres potentiels, dans tous les genres
du monde. Ou, variation possible : une malle
aux trésors au fond de laquelle écrivains en panne
comme promeneurs soucieux d’un peu de savoir
viendraient flâner en douce. L’ordre ne compte
pas, seuls le hasard et l’instinct devront guider
vos pas.
Précis
d’étude des grands courants littéraires avec
digressions savantes sur des moments précis (surréalisme,
Borges, Sade, Kafka, Oulipo,
etc.), le magasin déploie en effet la large
panoplie des costumes qui, à travers l’histoire -
mais pour un usage immédiat - ont fait de la littérature
ce territoire si vaste que les arts émergeants pillèrent
sans vergogne. La liste est longue, qui du roman épistolaire
au conte fantastique fouille aussi bien la matière
théâtrale que la nouvelle collective ou, inévitable
dans le cas Haddad, les ateliers d’écriture.
Ce qui d’un abord rébarbatif pourrait décourager
le lecteur (inquiet d’avoir sous la main un gros
manuel théorique) s’avère vite trompeur :
c’est bien l’idée de jeu qui prédomine, avec
ses qualités singulières de surprise et de
renouvellement constant, fonctionnant sur le mode
ingénieux de courts chapitres et d’innombrables
portes ouvertes sur l’imaginaire, comme cette
liste de « cent titres pour mille et une
fictions » ou ces haïkus d’enfants.
Bref : une littérature de l’imaginaire,
libre d’accès pour tous.
Ce
livre pourtant n’épuise rien du mystère de la création.
Il y aurait une coupable naïveté à croire qu’un
décorticage savant et minutieux de la littérature
offrirait une vue privilégiée sur l’envers du décor
des plus grandes œuvres de l’histoire de
l’humanité. Ni réflectivité biographique, ni
horlogerie minutieuse et duplicable n’ont jamais
pu avoir prise sur l’origine de toute littérature,
irrémédiablement réfractaire aux tentatives
d’explication, fussent-elles scientifiquement
fouillées. C’est donc l’esprit libre et ouvert
qu’on se rendra au grand bazar d’Hubert
Haddad, certains d’y jouir d’une multitude
d’angles de vues autour du mystère sondé mais
intouchable de la création littéraire, promenade
excitante et légère, un point c’est tout.
Christophe
Malléjac
Date
de publication : 19 janvier 2006
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