roman

Annie Saumont - Qu’est-ce qu’il y a dans la rue qui t’intéresse tellement ?

Éditions Joëlle Losfeld - 80p, 7.90 €

[4.0]

 

 

« Qu’est-ce qu’il y a dans la rue qui t’intéresse tellement ? » Cette question, une femme déjà âgée la pose à son mari qui, l’œil rivé sur la fenêtre et perdu dans les souvenirs de sa jeunesse, ne l’écoute pas lorsqu’elle raconte ses histoires de chauffage central à faire poser avant l’hiver. Les personnages des trois nouvelles qui forment ce petit recueil sont à l’image de l’attitude de ce personnage du premier récit : noyés dans le quotidien, ils sont pourtant ailleurs, ressassant un passé qu’ils n’ont pas réussi à oublier.

 

Le souvenir semble en effet être le fil directeur qui fait l’unité de ce nouveau livre d’Annie Saumont. Comme toujours chez cette nouvelliste de talent, quelques pages suffisent à construire une ambiance et permettent aux lecteurs d’entrer dans les pensées d’un personnage. Dans ces trois récits, les personnages sont en prise avec leur passé. Ce passé est parfois heureux, comme dans la première nouvelle qui a donné son titre à l’ouvrage : le soliloque étourdissant de la femme enfoncée dans le quotidien ne réussit pas à étouffer les souvenirs poétiques du passé émerveillé de son mari. Mais le passé peut aussi être un poids dont on peut difficilement se débarrasser : c’est le cas pour la jeune fille de la deuxième nouvelle (« Ce serait un dimanche ») qui tente de s’évader avec son amie dans les rêves d’amour, mais qui, au final, ne peut oublier le terrible drame familial dont elle a été la victime.

 

L’écriture d’Annie Saumont n’a rien de classique. Les longues descriptions peuplées d’adjectifs évocateurs et ciselées dans un français léché, ce n’est pas pour elle. Elle préfère casser la grammaire dans tous les sens en écrivant des phrases qui font affront à la syntaxe. Mais Annie Saumont ne malmène la langue qu’en apparence. Car cette déstructuration du langage lui permet en fait d’enregistrer avec une grande justesse les émotions du quotidien, les attitudes, les caractères. Nous ne voyons pas les personnages de l’extérieur, avec le recul d’un narrateur étranger à l’action : au contraire, les monologues nous permettent d’entrer directement dans l’esprit des gens – dans leur confusion, dans leurs obsessions, dans leur mémoire. A chaque fois, Annie Saumont parvient à saisir ce presque rien qui fait le tout d’une personne.

 

Malgré l’apparent désordre syntaxique de l’écriture, tout est étonnamment construit chez Annie Saumont. C’est au fil des pages que nous comprenons qui est la belle jeune fille que le vieux monsieur de la première nouvelle a tant aimée, ou encore quel événement horrible a envoyé en prison le narrateur du troisième récit (« Méandres »). Dans chacune de ces nouvelles, le présent, au lieu d’effacer le passé, l’empêche de s’effacer et le rend toujours plus présent. On n’oublie pas son passé. Il est le fardeau qui rend pénible le présent, mais aussi, parfois, la légèreté qui permet de continuer de vivre.

 

Céline Lavignette-Ammoun

 

Date de parution : Juin 2006

 

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Sur Annie Saumont

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