Vous
rêvez de publication ? Avide d’une gloriole
sans suite, vous
voudriez lire votre nom lettré de rouge sur
le fond crème de Gallimard ? Peu de ventes à
espérer, mais une jolie petit renommée de quartier ?
Et, cerise sur le gâteau, le soutien inconditionnel
de Josyane Savigneau ? Ecrivez Le
scandale McEnroe. Ou tout Cécile Guilbert.
Ou François Meyronnis. Ou Raphaël Denis.
Ou Antoine Buéno, Arnaud Viviant, Emmanuel
Catalan, Stéphane Zagdanski première époque
(pourtant la moins mauvaise).
Principes
de cette littérature à contraintes : affirmez
la singularité sous-estimée de votre sujet, dont
le geste poétique n’est apparu, dans toute
l’histoire de l’humanité, qu’à votre œil
avisé. Livrez-nous comme de l’or les pièces éparses
de votre vie de célibataire parisien, vivant actif
– et pas que de nom. Enrobez le tout sous
d’habiles citations de la bibliothèque chic et
choc – Debord, l’Evangile, Céline,
Proust, Clausewitz, Nabokov –
et roulez carrosse. Si vous suivez la ligne avec la
juste concentration d’un dissertateur de classe
terminale, la machine s’activera d’elle-même,
mode pilote automatique pour recycler (économie de
frais, ça fait plaisir au Boss) jusqu’au
charbon de l’usine Infini : une pelleté
Zagdanski, deux brouettes Sollers,
etc..
Au
final, vous tiendrez votre objet, délicate esbroufe
formatée pour Saint-Germain des Près, vide comme
le Flore au mois d’août, mais qui fait écrivain :
ouf ! A vous l’assurance d’une petite célébration
entre amis. Bigre ! Vous avez une thèse à défendre !
McEnroe
sportif bigger than life. Et vous ne rigolez pas : matériau
lourd en arrière plan, son Heidegger
ingurgité (« Le tourisme n’étant que
l’accélération ultime des processus de
remplacements techniques corporels »), son
New York vraiment vécu
(Le Céline obligé, sur le sujet,
page 69), le jazz comme référence franchement
inattendue (de vieux standards, hein, on peut
entendre le tennis cool mais, pour le reste,
qu’est-ce qu’il faut dire ?).
Et
puis, ne doutez pas, vous êtes un sacré penseur,
qui nous prenez toujours en faute ! D’où
sortez-vous, par exemple, ce bloc original de
perspicacité : « Quoi ? Vous
n’aviez jamais songé de peur de bouleverser la hiérarchie
culturelle qu’un grand golfeur, à partir d’un
sens météorologique intérieur, s’entretient en
secret avec les vents, dans un dialogue avec les éléments
littéraire et musical (le swing), mesurant la réalité
de ces derniers, la verve de la nature, mieux, plus
verbalement en tous cas, que nos procédures connues
d’évaluations ? Dommage. Encore un petit
effort. Allez.» ?
Baissons
les armes.
Acclamons
votre autorité.
De
toutes façons, vous nous avez prévenus :
« A la fin, quoi qu’il arrive, c’est
toujours la Technique qui gagne » (enfin,
chacun sa victoire, hein. On sait bien,
heureusement, qu’il existe aussi en France
quelques vrais écrivains, un peu moins préoccupés
de publication et de lumière médiatique. Non, pas Sollers :
éditeur (ici, entre autres) et écrivain, dont la
consternante production se noie toujours plus dans
un effrayant radotage – comment a-t-il pu en
arriver là ?).
Christophe
Malléjac
Date de publication : 28 septembre 2006
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