Le
début commence par la fin : un début aussi étrange
que le roman lui-même. Six mois après avoir été
inhumé au Panthéon, la demeure funéraire des
grands hommes, le corps d’un certain Antoine Blin
est transféré en catimini, dans l’anonymat
presque total, dans un petit cimetière de banlieue.
Pourquoi ? Toute la suite du roman est déroulée
en flash-back vers les dernières pages qui
viendront éclairer cet énigmatique préambule.
Antoine
Blin, la quarantaine déjà entamée, vit
modestement dans un petit deux-pièces qu’il
quitte chaque nuit pour aller travailler à la Poste
où il trie le courrier. La vie d’Antoine Blin est
tranquille, d’une banalité affligeante, traversée
par une solitude assommante. Lorsque commence le
roman, une canicule insupportable écrase la ville.
Comme tous les citadins, Antoine vit au ralenti au cœur
de cet été torride. Sauf qu’en plus de la
transpiration qui colle à chacun de ses gestes, une
autre odeur, plus tenace, plus désagréable encore,
semble le suivre à la trace. C’est une odeur indéfinissable
dont Antoine Blin a honte et que les litres de
parfum dont il s’asperge n’arrivent pas à
maquiller. Qu’est-ce que ça sent ? La mort ?
Un
jour, par hasard semble-t-il, Antoine Blin croise un
homme qui ne tarde pas à s’adresser à lui. Cet
homme se nomme André Denner et fait partie d’une
curieuse association, secrète mais prétendument très
étendue, qui réunit tous les gars un peu paumés,
comme Antoine, au quotidien banal, ignorés de tous :
le syndicat des pauvres types. Unis, les
pauvres types, peuvent s’entraider et mieux
inverser leur destin. C’est ce que propose M.
Denner à Antoine Blin. Pour adhérer à ce
syndicat, il suffit ainsi de mettre par écrit cette
profession de foi : « je reconnais être
un pauvre type ». Antoine est sur le point de
signer lorsqu’au dernier moment un étrange appel
va bouleverser son existence. Désormais, lui qui
n’était M. Personne, a soudain l’opportunité
de devenir le "Monsieur Tout-le-monde" le
plus célèbre du pays…
Dans
cette histoire improbable, nous ne sommes jamais
loin de Kafka. Le personnage principal, anti-héros
par excellence, perd peu à peu le contrôle de sa
vie, guidée par une organisation toute puissante
qui le dépasse. Sorte d’ode à l’homme de la
rue, au monde de tout le monde dans lequel presque
chacun peut se reconnaître, ce roman est en même
temps une critique, à l’humour souvent cruel, du
pouvoir de la médiatisation et, en sous-main, des
aspirations au populisme.
Il
y a quelques longueurs, surtout à la moitié du
roman où l’histoire piétine, s’essoufflant
avant de repartir vers une autre perspective –
celle des sirènes de la télé-réalité. J’ai
parfois l’impression qu’Eric Faye ne va
pas jusqu’au bout de ses idées dans la
construction de l’histoire : Antoine Blin est
presque trop attachant pour être véritablement un
pauvre type, la thèse sous-jacent le syndicat des
pauvres types n’est pas assez expliquée pour
pouvoir être vraiment comprise et l’apparition de
la télévision vient trop tard, un peu comme un deus
ex machina.
Cependant,
on se laisse embarquer par cet étrange roman qui
offre à réfléchir sur les faux héros de la société
actuelle. Un roman à l’écriture toujours juste
et précise qui mériterait de ne pas être oublié
sous l’avalanche des titres de la rentrée littéraire.
Céline
Lavignette-Ammoun
Date
de parution
: 23/08/2006
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