Six minutes trente-cinq, c’est bien court, avant
de mourir. Six minutes trente-cinq, c’est le temps
qu’il reste à Fast Freddy, pour ses souvenirs,
avant le feu d’artifice final : son suicide
sur scène. Six minutes trente-cinq, deux morceaux
et trois solos pour finir en beauté, avant que l’électricité
dont il a toujours joué le rattrape enfin. Six
minutes trente-cinq, pour rembobiner son passé de
rocker inutile.
Ce court “roman”, au rythme rapide, comme le jeu
de guitare de son anti-héros, est à la fois
ironique et nostalgique. Le vieux rocker, même
s’il n’a pas tout à fait la quarantaine,
propulsé soliste d’un groupe de gamins qui font
du rock préhistorique, se sent fatigué. Son
manager a perdu de sa splendeur, la gent féminine a
déserté son bureau si ce n’est « une
secrétaire qui sent l’occase »… Pas
facile, après avoir brillé au temps des
Chaussettes Noires, après avoir renoncé à la scène
pour le travail « tranquille, bien payé
[de] requin de studio » de reprendre le
train en route, de replonger dans l’enfer des
tournées, et qui plus est avec des sales gosses qui
ne savent et ne veulent faire que du bruit.
Paul Fournel,
secrétaire
provisoirement définitif, puis président de l’Oulipo,
joue ici avec les retours
en arrière qui parfois s’enchâssent les uns dans
les autres : les souvenirs de la veille
appellent ceux de l’époque de gloire, le début
des années soixante. Claude Moine, alias le grand
Schmoll, alias Eddy Mitchell est pivot de ces années-là.
C’est lui qui l’amenant à Nashville dans ses
bagages, permettra à Frédéric Jaunissert, dit
Fred Jones de devenir Fast Freddy, guitariste réputé
des deux côtés de l’Atlantique. Fred Jones,
guitariste talentueux, mais rocker raté : « j’avais
une tête banale, [..] je ne savais
pas me tenir en scène, [..] je passais mal
à la télévision.»
Paul
Fournel
joue et s’amuse. Fausses citations placées en
exergue :
« De ses premières chaussettes, on ne
se soucie plus. Eddy Mitchell ». Collages :
le livre s’ouvre et se clôt sur deux extraits,
tout aussi faux de Rock & Folk.
Inventaires : la collection de guitares de Fred
Jones, les morts du rock. Clins d’œil et référence
au rock, bien sûr, mais aussi à la B.D. ou au
dessin animé : Fred Jones anticipant son
suicide, « Je sauterai comme un zigzag,
avec la Gibson pendouillante autour du cou, les
baskets à la verticale, les tifs en rayon de
soleil, les yeux comme des cibles, la langue bleue
tirée au maximum. »
Un rocker de trop
se lit comme on réécoute un vieux 45 tours, ça se
lit vite, on passe un bon moment, en plus c’est drôle
et on se sentirait presque rajeunir. (La description
de la première répétion dans une cave pourrie
rappellera des souvenirs à beaucoup.) On a un peu
la même impression qu’à la fin d’un polar, ce
n’est pas de la très grande littérature, mais ça
fait plaisir.
Dominique
Fagnot
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Edition
originale : Balland, 1983
Date
de parution : 7 octobre 2004
Une
bio-bibliographie sur : www.fatrazie.com
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