Un
titre qui claque comme une affirmation, et qui agit
comme un baume protecteur, une pommade adoucissante
sur l’âme des personnages de ce recueil de neuf
nouvelles et à travers eux sur celle de tout
lecteur tant soit peu sensible. La promesse d’une
compréhension possible, d’une empathie revendiquée,
c’est ce que distille tout au long de ses deux
cent cinquante et quelques pages le premier ouvrage
de Adam Haslett, qui arrive en France précédé
d’une aura presque suspecte, accompagné des
recommandations laudatives de Jonathan Franzen,
encensé par une critique unanime. Ne tergiversons
pas davantage : le coup d’essai de Haslett,
trente-quatre ans, avocat de son état qui poursuit
des études de droit à Yale, est un coup de maître.
Vous n’êtes pas seul ici fait
incontestablement partie des livres qui comptent,
qui vous remuent salement, ceux dont on ne sort pas
tout à fait indemnes, en s’excusant de cette
formule galvaudée et sur-employée.
Donc neuf nouvelles qui mettent en scène des
personnages dont le point commun est l’absence au
monde et aux autres, provoquée par la maladie
mentale, dépression ou pire encore, résultat de
souffrances, de pertes non acceptées, de peines
insurmontables. Quelques-uns sont gay, comme Graham
(Notes pour mon biographe) dont le père
vieil excentrique mythomane, indifférent et égocentrique,
réapparaît au bout de nombreuses années sans se
préoccuper des sentiments de son fils ; comme
Owen (Dévotion) qui a aimé le même homme
que sa sœur ; comme James atteint du sida (Réunion)
incapable de parler de son mal hormis à une
prostituée rencontrée par hasard lors d’un dîner
et qui s’enferme dans une solitude abyssale.
D’autres
sont encore des adolescents dont la vie déjà fout
le camp : ce jeune garçon dont les parents
sont morts à peu d’intervalle ne peut continuer
à exister que par une recherche obsessionnelle de
violence et de coups perpétrés sur lui (Le
commencement du chagrin, la nouvelle la plus dévastatrice
du recueil) ; Samuel un collégien anxieux qui
pressent des événements tragiques et tisse à son
insu un lien viscéral avec son père (Prémonition) ;
Ted un étudiant devenu Le bénévole pour un
institut se lie d’amitié avec Elisabeth une femme
dépressive et s’invente une mère de substitution
tout en vivant sa première histoire d’amour.
Des
malades à la vie bancale, marquée par la douleur
et la démence avec les médecins ou les organismes
qui vont avec. Lesquels thérapeutes ne sont guère
mieux lotis : Franck (Le bon docteur)
offre son temps et son écoute à une femme ravagée
par la mort de son fils. Mais parfois les docteurs même
bons sont insuffisants à soigner ces étranges
malades, à l’image de Paul professeur américain
totalement perdu dont le salut, le retour à la vie
passeront par un don de soi-même absolument
bouleversant (La fin de la guerre).
Situées aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, ces
nouvelles sont émaillées de lettres, d’une ébauche
testamentaire, de rapports médicaux pour un ancrage
dans le réel. L’emploi alterné du « je »
et de la troisième personne nuance
l’appropriation des personnages par l’auteur qui
multiplie aussi les ambiances et les atmosphères. Vous
n’êtes pas seul ici magnifie la tristesse et
l’impossible consolation de ses protagonistes,
pathétiques et bouleversants. En habile
marionnettiste, Adam Haslett en tire les fils
ténus et offre son épaule compassionnelle à ces désespérés
de la vie, effrayés par leur propre sort, leur
abandon, leur solitude. En transformant le pas
du titre en plus, il laisse entrevoir la possibilité
d’un soulagement et, plus prosaïquement, l’émergence
d’un très grand écrivain.
Patrick
Braganti
Date de
parution : 14/01/2005
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