Franck
Ruzé - 0%
Le
Dilettante - 2003
L’héroïne de 0% s’appelle
Priscille.
Elle est mannequin, anorexique et lesbienne. Au-delà de
ces considérations elle est aussi un être sensible et un
peu paumé qui tente de naviguer entre son désir
maladif de ne pas prendre de poids, ses amours
difficiles, ses castings, ses soirées mondaines et ses
TS ; car dans le milieu des mannequins on ne parle
pas de tentative de suicide mais de TS « T’en
es à ta combientième TS ? C’était une Ts love ?
Ca fait chier, elles
parlent encore de TS... » nous dit Priscille,
fatiguée d’entendre ses collègues mannequins parler
sans cesse de ce
sujet dans les castings.
Avec cette courte citation le ton est donné : 0% est un petit roman décapant,
très caustique et bourré d’humour mais qui fait également
la part belle à la poésie et à la mélancolie. Et de
la mélancolie, notre héroïne en a à revendre. Petit
mannequin perdu dans un monde trop rapide pour elle,
elle passe son temps à
boire de l'eau salée tiède pour se faire gerber, à échanger
des messages par e-mail et accessoirement à se finir
dans des soirées branchées dans lesquelles on écoute
du Autechre et on drague à tout va en jouant à
la dictée magique.
Mais être anorexique, ce n’est pas donné à tout le
monde, il y a une méthode, et au fond c’est un peu
une manière de vivre, quelque chose que l’on a en
soit. Et pour cela, Priscille est très douée. Extrait :
Ma technique préférée, c’était l’eau tiède
salée. Plein de petites séquences boire-vomir,
boire-vomir… pour les amoureux des chiffres, comptez
un litre et demi par crise, soit neuf litres d’eau salée
pour un total d’environ trente vomissements par jour
(si on se base sur une moyenne de cinq vomissements pour
un litre et demi). Ce qui peut paraître beaucoup. Mais
réparti sur l’ensemble d’une journée, on finit par
se persuader que ça reste supportable. On s’habitue même
à avoir cette espèce de goût acide en permanence dans
la bouche. Comme on s’habitue à avoir super-mal à la
racine des dents, sous la gencive.
Décrivant la vie en accélérée de Priscille comme on
regarde un K7 vidéo en zappant les moments peu intéressants,
Franck Ruzé offre un portrait décalé et
furieux d’une fille d’aujourd’hui qui veut bouffer
le monde sans prendre un gramme, une fille un peu larguée
dans une société trop large. Comme un constat, sans
jugement, il dépeint un monde parisien et vaniteux dans
lequel les filles comme Priscille survivent plus
qu’elles ne vivent.
Avec 0%, Franck Ruzé signe donc un
premier roman très réussi, dans un style concis et vif, avec des mots simples mais
aiguisés et emprunts d’une profonde noirceur. Il
nous fait parfois penser à Houellebecq par
l’aspect décalé et cynique qui se dégage de
certains passages totalement délirants. Véritable récit
réalité, ce roman zapping, résonne dans la tête du
lecteur longtemps après sa lecture, avec un son
bizarre, entre fascination et amusement et dégoût.
Benoît
|